Pour les membres de la Haute Autorité pour la Transparence de la vie publique (HATVP), les 24 heures qui s’annoncent particulièrement fastidieuses. Certes, ils ont le privilège de connaître, avant tout le monde, le nom des ministres pressentis pour composer le futur gouvernement d’Edouard Philippe. Mais la responsabilité qui leur est incombe est immense.
Ils doivent, d’ici mercredi 15 heures, quand l’équipe gouvernementale doit être officiellement annoncée, vérifier que tous ses futurs membres sont irréprochables. Sur leur déclaration fiscale et patrimoniale comme concernant de potentiels conflits d’intérêts. Histoire d’éviter au nouveau Premier ministre comme à Emmanuel Macron l’embarras d’une nouvelle affaire Thévenoud, du nom de cet éphémère secrétaire d’Etat limogé en septembre 2014 neuf jours seulement après sa nomination pour cause de phobie administrative.
EN DIRECT - Suivez ici l'annonce du nouveau gouvernement mercredi après-midi
- La vérification de la déclaration fiscale et patrimoniale
La première mission principale de la HATVP, définie par les lois du 11 octobre 2013, dites "post-Cahuzac", est de contrôler qu’une personnalité est en règle avec le fisc. Sur le paiement de ses impôts d’abord, mais aussi sur la correcte évaluation de ses biens mobiliers - comptes bancaires, actions, emprunts, parts dans une société… - ou immobiliers - propriété pleine ou partielle d’un bien, part dans une SCI, etc.
Pour cela, la Haute autorité travaille en lien étroit avec l’administration fiscale, dégagée du secret à son égard. L’instance chargée de la transparence peut donc réclamer - et obtenir - tout document qu’elle estime nécessaire sur un responsable public. Elle peut également demander au fisc de mettre en oeuvre son "droit de communication", qui lui permet de réclamer des informations auprès de banques, de sociétés et même de la justice. La HATVP peut même réclamer au fisc d’évaluer des parts sociales ou des biens immobiliers. Son champ et ses moyens d’actions sont donc extrêmement larges.
- La prévention des conflits d’intérêts
Autre mission d’importance de la HATVP : éplucher les déclarations d’intérêts des potentiels ministres. Et donc vérifier qu’ils ne soient pas influencés dans leur choix au cours de leur future mission gouvernementale. La fameuse déclaration d’intérêts doit faire apparaître, selon la Haute Autorité elle-même, "les activités professionnelles passées ou présentes, les différentes participations aux organes dirigeants d’organismes publics ou privé, les activités bénévoles", mais aussi "la profession du conjoint". A charge donc à l’instance de vérifier que ces intérêts déclarés n’entrent pas en conflit avec le portefeuille potentiel de telle ou telle personnalité.
- Un contact avec le déclarant
En fonction de ce qu’elle trouve, la Haute Autorité prend prioritairement contact avec le déclarant pour réclamer des éclaircissements ou des explications sur un point précis. Si les justifications ne lui conviennent pas, elle peut agir selon différents leviers. Soit formuler une "appréciation", une sorte de blâme qui n’aboutit pas à des poursuites judiciaires mais renseigne sur la non exhaustivité ou la non exactitude d’une déclaration. Cette "appréciation" n’est pas forcément publique. En l’espèce, elle serait forcément transmise au président de la République et au Premier ministre, et serait sans doute suffisante pour bloquer la nomination d’un ou une responsable publique au gouvernement.
Pour les cas les plus graves, la HATVP peut transmettre directement les dossiers concernés au procureur de la République, qui aura toute latitude pour déclencher une procédure pénale. Là encore, le couple exécutif en serait informé, et la carrière ministérielle de la personne concernée finirait avant même d’avoir commencé.
- Des vérifications auparavant effectuées a posteriori
D’ordinaire, ces vérifications sont opérées après la nomination des ministres. Ce n’est toutefois pas la première fois que la Haute Autorité travaille a priori. En février 2016, avant un remaniement, François Hollande avait ainsi soumis à l’organisme chargé de la transparence quelques noms afin qu’il procède à des contrôles. Le président de la République de l’époque suivait là les recommandations de Jean-Louis Nadal, président de la Haute autorité, formulées après l’affaire Thévenoud. Mais c’est la première fois que de telles vérifications précèdent la nomination d’un gouvernement dans son ensemble. Une pratique qui pourrait devenir systématique à l’avenir.
Cahuzac et Thévenoud, les affaires qui ont tout changé
En matière de transparence de la vie publique, il y a un avant et un après Jérôme Cahuzac et l’affaire de son compte caché à l’étranger. Contraint à la démission en mars 2013 après avoir longtemps démenti les informations de Mediapart, l’ex-ministre du Budget a déclenché un scandale tel que François Hollande a décidé de frapper fort. Auparavant, la probité des ministres n’était vérifiée que sur demande du ministère… du Budget. Depuis, la HATVB, créée le 10 avril 2013, indépendante et aux larges pouvoirs d’investigations, est toute-puissante. Selon des lois promulguées en octobre 2013, elle contrôle systématiquement la situation des membres du gouvernement, mais aussi des parlementaires, des présidents de collectivités territoriales et de quelque 15.000 personnes disposant d’une direction d’organismes publics.
Il y a, aussi, un avant et un après Thomas Thévenoud. Lors du remaniement d’août 2014, ce jeune député de Saône-et-Loire est nommé secrétaire d’Etat au Commerce extérieur. Mais la Haute Autorité se rend compte bien vite que l’homme est fâché avec le paiement de ses impôts. Il démissionne… neuf jours après avoir été nommé. Nouveau scandale. Jean-Louis Nadal, président de la HATVP, préconise alors des contrôles a priori des futurs membres du gouvernement pour éviter de nouveaux esclandres. Conseil suivi par François hollande lors d’un remaniement en février 2016. Et par Emmanuel Macron et Edouard Philippe.