La campagne d'entre-deux-tours, particulièrement tendue, s'est achevée vendredi sur un nouveau soubresaut, avec la publication sur les réseaux sociaux, peu avant minuit, de milliers de documents internes de l'équipe d’Emmanuel Macron, via un lien diffusé par le site WikiLeaks, et abondamment relayés par l'extrême droite sur Twitter. Cette fuite, nommée "Macron Leaks" a été relayée par certains médias mais à cause de la période de réserve, le contenu n’a pas pu filtrer. Cet événement impromptu n’a pas empêché l’élection d'Emmanuel Macron mais il pose de nombreuses questions.
- Que désignent les "Macron Leaks" ?
Le piratage a eu lieu "il y a plusieurs semaines" et concerne les messageries "personnelles et professionnelles" de responsables d’En Marche!, comme l’a indiqué le mouvement dans un communiqué. Tous les documents piratés sont "légaux" assure le mouvement. Il s’agit de mails, de documents comptables, de contrats… En Marche! précise également que "nombre de faux documents" ont été ajoutés pour "semer le doute et la désinformation", parmi lesquels l’existence de comptes offshore, la pratique de l’évasion fiscale, etc.
Période de réserve oblige, aucun relai médiatique à propos du contenu de ces documents n’est toléré. Les médias, Europe 1 compris, ont respecté cette règle jusqu’à ce que le résultat de l’élection soit officialisé dimanche soir.
- Qui est l’auteur de ces fuites ?
Les documents de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron ont été publiés anonymement vendredi soir sous forme de liens sur Pastebin, un site qui permet de partager facilement des documents au public. Ces liens sont rapidement partagés sur un fil politique d’extrême droite de la plateforme 4chan.
Wikileaks, qui a rapidement relayé les documents, a nié être à l’origine de la fuite. La plateforme fondée par Julian Assange, a entamé une analyse des documents. Selon plusieurs tweets publiés par Wikileaks, des documents présentaient des données en cyrillique. "Impossible de dire si c’est à dessein, par incompétence ou à cause d’un employé slave", commente le site. Il ajoute également que la société de sécurité privée Evrika, sous contrat avec le gouvernement russe, pourrait être impliquée par la présence de traces numériques dans les fichiers sources. Une enquête a été ouverte.
#MacronLeaks: name of employee for Russian govt security contractor Evrika appears 9 times in metadata for "xls_cendric.rar" leak archive pic.twitter.com/jyhlmldlbL
— WikiLeaks (@wikileaks) 6 mai 2017
- Comment la fuite a-t-elle été organisée ?
Nicolas Vanderbiest, chercheur à l’université catholique de Louvain, en Belgique, spécialiste des rumeurs sur Internet, a débusqué le point de départ de la propagation des "Macron Leaks". Il s’agit de Jack Posobiec qui a relayé le fil de discussion 4chan à 20h49 vendredi. Ce n’est pas n’importe qui : Jack Posobiec est un activiste qui travaille pour le site pro-Trump The Rebel, connu pour avoir propagé de fausses informations lors de l’élection américaine, notamment la rumeur concernant un supposé réseau de pédophilie lié au directeur de campagne de Hillary Clinton. Mercredi soir, il avait également relayé la rumeur à propos d’un soi-disant compte caché d’Emmanuel Macron aux Bahamas. Le leader d’En Marche! a porté plainte pour "faux et usage de faux" et une enquête a été ouverte.
Les "Macron Leaks" sont ensuite très vite relayés par Disobedient News, un autre média très à droite de l’échiquier politique américain. Dans la foulée, c’est au tour de WikiLeaks de partager les liens de téléchargement des milliers de documents fuités. Très vite, la rumeur se propage sur le web français via les réseaux russophiles, selon Nicolas Vanderbiest, interrogé par Libération. Le chercheur a cartographié la propagation de la rumeur.
Cartographie de #Macronleaks à minuit.
— Nicolas Vanderbiest (@Nico_VanderB) 6 mai 2017
Mauve = Dénonciation
Vert = l'histoire d'amour entre le FN et les comptes US/Trump . Tout est dit pic.twitter.com/QVsyOdGTEi
"La couleur sépare en deux communautés. La fachosphère en vert, et ceux qui réfutent le Macron Leaks en mauve. En gros, ceux qui ont infirmé la rumeur ne se sont pas servis de Disobedient News, ce qui est assez logique", explique le spécialiste. On voit que Jack Posobiec, Wikileaks et Disobedient sont au milieu, en vert. Avec Messmer et Kim Jong Unique, les premiers relais francophones, qui sont connus pour être russophiles". Peu de temps avant minuit, le Front national s’empare des "Macron Leaks".
- Comment a réagi En Marche! ?
L'équipe du candidat, qui avait pourtant pris nombre de précautions, comme des messageries cryptées ou des serveurs protégés a dénoncé une "action de piratage massive et coordonnée", y voyant une "opération de déstabilisation". Malgré l’utilisation de serveurs protégés par des logiciels de filtrage sophistiqués, de plusieurs messageries et réseaux cellulaires cryptés, de doubles ou triples authentifications pour l'accès aux services de courriels, de cloisonnements multiples, de bases de données isolées comme des forteresses et l'utilisation mots de passe complexes régulièrement changés, les hackers expérimentés ont fini par trouver la faille.
Ce n’est pas la première attaque contre la campagne d’Emmanuel Macron. Le 25 avril, un rapport de l'entreprise japonaise de cybersécurité Trend Micro attribuait au groupe russe Pawn Storm, également connu sous les noms de Fancy Bears, Tsar Team ou APT28, une tentative de hameçonnage ("phishing") à grande échelle contre la campagne Macron. Le groupe russe, soupçonné de liens étroits avec les services de sécurité russes, est également accusé d'avoir visé notamment pendant la récente campagne présidentielle américaine le parti démocrate.
- Les réactions
La diffusion de ces fausses informations est arrivée en France après 22h, très peu de temps avant la fin de la campagne officielle. Le FN s’est emparé juste à temps des "Macron Leaks", Florian Philippot le premier, à 23h40. L’information a été amplement relayée jusqu’à minuit. Après, il n’était plus possible de communiquer sur ce sujet qui pouvait potentiellement influencer le vote.
Les #Macronleaks apprendront-ils des choses que le journalisme d'investigation a délibérément tues ? Effrayant ce naufrage démocratique.
— Florian Philippot (@f_philippot) 5 mai 2017
La Commission nationale de contrôle de la campagne présidentielle a d’ailleurs demandé aux médias et "citoyens" de ne pas relayer le contenu de ces documents, "obtenus frauduleusement" et auxquels ont été "mêlées de fausses informations". Plusieurs médias, comme Le Monde, ont annoncé qu'ils ne publieraient d'éventuelles révélations qu'après le second tour, pour ne pas nuire à "la sincérité du scrutin".
De son côté, François Hollande a simplement commenté l’aspect juridique de l’affaire. "Rien ne sera laissé sans réponse", a réagi samedi le président de la République, en marge d'une visite à l'Institut du monde arabe à Paris.
- Ouverture d'une enquête
Le parquet de Paris a ouvert une enquête dès vendredi soir, dans la foulée de la fuite des documents d'En Marche!, a appris l'AFP dimanche de source proche du dossier. L'enquête, ouverte pour "accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données" et "atteinte au secret des correspondances", a été confiée à la Brigade d'enquêtes sur les fraudes aux technologies de l'information (Befti).