"Je n’ai jamais agi autrement qu’honnêtement et scrupuleusement dans la conduite financière de ma campagne". Dans un communiqué publié mardi sur son blog, Jean-Luc Mélenchon a réagi avec virulence à l’annonce par L’Express, de l’ouverture par le parquet de Paris d’une enquête préliminaire sur ses comptes de campagne. Pour le parquet, il s’agit de "procéder à des vérifications sur une éventuelle violation" des règles sur le financement des campagnes électorales. Europe 1 fait le point sur une affaire qui agace le chef de file de La France insoumise depuis plusieurs mois.
Un budget validé, mais comportant plusieurs rectifications
Dans un communiqué publié le 14 février, Jean-Luc Mélenchon le rappelait déjà : "mon compte de campagne est validé". En effet, le 13, le Journal officiel publiait la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), qui approuvait les comptes du candidat.
Cependant, la Commission avait procédé à plusieurs rectifications concernant certaines dépenses, et avait retoqué 434.939 euros. L’État va au final rembourser Mélenchon pour 6,03 millions d’euros sur un total de quelque 10,676 millions d’euros de dépenses.
Pourquoi le parquet se saisit-il alors du dossier ?
Si le budget avait fini par être validé par la CNCCFP, les vérifications de la commission ne s’étaient pas faites sans douleur. L’un des rapporteurs, Jean-Guy de Chalvron, avait fini par démissionner avec fracas, fin novembre, faisant état de "nombreuses divergences de fond" entre ses propositions et les recommandations finales de la commission. Selon ce rapporteur, c’est 1,5 million d’euros sur le total des dépenses de Mélenchon qui ne pouvait être validé par la commission, soit une somme effectivement bien plus importante que les 434.000 euros retoqués au final par la CNCCFP.
Selon L'Express, c’est bien "la publicité" autour de la démission de de Chalvron qui a poussé la CNCCFP à effectuer un signalement au parquet en mars. L’enquête a été confiée au mois d’avril à l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales.
Sur quoi va porter l’enquête ?
Comme l’a indiqué une source proche du dossier à l’AFP, le signalement relatif à la campagne de Mélenchon cite notamment les dépenses facturées par deux associations, l’Ère du Peuple et Mediascop, dont certaines avaient été retoquées par la commission.
Dans sa décision rendue publique, la CNCCFP relevait que l’Ère du peuple avait facturé à la campagne 440.027 euros de dépenses correspondant à des locations de salles, de matériels informatiques et audiovisuels, et à des prestations intellectuelles de quatre de ses salariés, dont trois étaient également membres de l'équipe de campagne.
Alors que, soulignait l’autorité, l’association "n’a pas d’activité commerciale déclarée", et que ses bureaux étaient par ailleurs "situés à la même adresse que l'association de financement électorale" de Mélenchon, la CNCCFP a a été intriguée, dans les dépenses litigieuses, par plusieurs "refacturations" réalisées par l’Ère du peuple. En février Franceinfo affirmait que plusieurs prestations des permanents de l’équipe de campagne de Mélenchon, salariés par l’Ère du peuple, ont été refacturées très cher. Par exemple, Bastien Lachaud, aujourd’hui député de Seine-Saint-Denis, aurait été rémunéré 29.976 euros pour 1.856 heures de travail, avant que la société ne refacture la prestation 129.920 euros soit une plus-value de 100 000 euros. Même système pour Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne, qui aurait été payée 11.040 euros brut pour 1.725 heures de travail comme cheffe de projets, avant que la prestation ne soit refacturée 87.150 euros
Concernant Mediascop, dirigée par Sophia Chikirou, également responsable de la campagne de Jean-Luc Mélenchon, la commission avait retranché 54.600 euros de dépenses facturées, dont 35.250 pour des "écarts significatifs" entre montants et la "grille tarifaire de cette entreprise". Le tout alors que Mediascop n’aurait émis que deux factures pour toute la campagne, selon Franceinfo.
Que répondent Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise ?
Sur les refacturations des prestations de Mathilde Panot et Bastien Lachaud. Interrogées par Marianne, les équipes de Jean-Luc Mélenchon font valoir des montants différents que ceux avancés par Franceinfo. Bastien Lachaud aurait été rémunéré 46.000 euros en comptant les cotisations patronales, quand Franceinfo évoque 29.976 euros, faisant passer le ratio d’écart de 4,3 à 2,8. Pour Mathilde Panot, cette dernière aurait été payée près de 40.000 euros tous frais compris, réduisant le ratio de 8 à 2,2.
Concernant les écarts subsistants, l’entourage de Jean-Luc Mélenchon explique à l’hebdomadaire avoir fait appel à un comptable "pour ne pas être soupçonnés de pratiquer du don illicite en sous-facturant les services de salariés". Ce comptable leur aurait conseillé de s'aligner sur les tarifs pratiqués par les agences d’intérim, soit un ratio de 2 à 3.
Sur l’emploi d’une association pour rémunérer ses collaborateurs. "Pourquoi passer par une association ? Parce que nous avons commencé la campagne en février et que les comptes de campagne n’ouvrent qu’en avril", expliquait Jean-Luc Mélenchon en février sur son blog.
Sur de potentielles irrégularités. "Nous n'avons pas dépassé le plafond légal, aucune recette n'est mise en cause", expliquait-il en février après la validation de ses comptes. "Une dépense réformée n’est pas irrégulière, elle est simplement considérée par la commission comme non-électorale. Il n'y a donc aucune irrégularité", ajoutait-il.
Mardi, Jean-Luc Mélenchon s'est attaqué dans son communiqué aux méthodes de la commission. Le leader de La France insoumise garantit n’avoir "jamais agi autrement qu’honnêtement et scrupuleusement dans la conduite financière" de sa campagne. Et le quatrième homme de la présidentielle estime être victime d’une tentative de nuire à "son honorabilité".
Jean-Luc Mélenchon dit également de ne pas comprendre « comment la Commission nationale des comptes de campagne a pu à la fois valider mes comptes et faire un signalement. Ni pourquoi elle ne m’en a jamais informé auparavant alors que cette démarche date du 18 mars dernier".
Et de s’attaquer à une supposée différence de traitement par rapport aux comptes de campagne d’Emmanuel Macron. Selon le député des Bouches-du-Rhône, la commission a défendu "les rabais dont a bénéficié le candidat Macron". "Un communiqué pour lui, un signalement judiciaire pour moi", conclut-il.