La censure par le Conseil constitutionnel de la taxe sur les dividendes n’en finit plus de faire des remous. Deux semaines après que les Sages ont décidé que cette taxe méconnaissait les "principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques", Bercy se retrouve contraint de rembourser 10 milliards d’euros aux entreprises concernées. Un "scandale d’État" pour Bruno Le Maire, qui dénonce, dans Le Figaro, "l’amateurisme de ceux qui ont mis cette taxe en place". Mais qui doit réellement être pointé du doigt ?
Le Maire cherche un coupable. Pour faire toute la lumière sur couac budgétaire, le ministre de l’Économie a demandé une enquête de l’Inspection générale des Finances (IGF). Mais, en attendant, Bruno Le Maire semble avoir sa petite idée. "Ce ne sont pas les fonctionnaires qui sont responsables. Ce sont les responsables politiques, c’est-à-dire ceux à qui appartenait la capacité de décider", a déclaré l’actuel résident de Bercy, dimanche sur France 3.
Un amendement de Christian Eckert. Il faut donc remonter à juillet 2012. Tout juste élu président, François Hollande s’attèle à redresser les finances du pays. Dès l’été, une loi de finances rectificative est présentée au Parlement. Plusieurs amendements viennent se greffer au texte initial. Parmi eux, une contribution de Christian Eckert, député socialiste et… futur secrétaire d’État au Budget, qui instaure une taxe à 3% sur les dividendes des entreprises. L'objectif, alors, était de trouver cinq milliards d'euros pour pallier un trou dans le budget.
Comme l’explique L’Opinion, les spécialistes de droit fiscal alertent à l’époque sur l’incompatibilité de cette taxe avec le régime fiscal des sociétés-mères et de leurs filiales au sein de l’Union européenne. "Tous les praticiens savaient qu’il y avait un sujet européen", explique, dans les colonnes du quotidien, Nicolas Jacquot, avocat fiscaliste qui a posé la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à l’origine de la censure du Conseil constitutionnel. Sauf que le Conseil d’État, qui est repassé derrière l’amendement, n’a émis aucune réserve. Nicolas Jacquot pointe donc plutôt du doigt le ministère des Finances de l'époque. "Dès le départ, il y a eu une faillite de Bercy qui aurait dû alerter sur l’incompatibilité communautaire de cette taxe", assure-t-il à L’Opinion.
Moscovici et Cahuzac au courant. A l’époque, c’est Pierre Moscovici qui est ministre de l’Économie et des Finances, assisté de Jérôme Cahuzac, ministre délégué au Budget. Si on suit les propos de Bruno Le Maire, c’était eux qui étaient en "capacité de décider", eux qui avaient la main sur les finances publiques. "Ce n'est pas une décision que j'ai prise personnellement, je tiens à le dire", s’est défendu Pierre Moscovici, sur franceinfo. L’actuel commissaire européen aux Affaires économiques a également affirmé regretter "a posteriori, forcément", cette taxe sur les dividendes qui "n’est pas une bonne idée".
Le gouvernement souhaitait d’ailleurs initialement exonérer les filiales détenues à plus de 10% par leur maison mère, dans le respect de la directive européenne "mère-fille", comme le rappelle Le Journal du Dimanche. C’est Christian Eckert, craignant de voir une large partie des recettes espérées échapper à l’État, qui rabote cette exonération. Dans l’exposé de son amendement, il affirme même que les dispositions fiscales européennes pour les "holdings" ne sont "ni pertinentes, ni juridiquement obligatoires".
L’exécutif averti à plusieurs reprises. Sauf que trois ans plus tard, en avril 2015, la Commission européenne met la France en demeure au sujet de cette taxe. Un avertissement qui pousse Christian Eckert, devenu entretemps secrétaire d’État au Budget, à avouer devant le Sénat : "La France n’est pas en conformité avec le droit européen". A l’époque, la facture est estimée entre 2 à 3 milliards d’euros, selon L’Opinion. Mais l’État maintient la taxe.
L’affaire aurait pu s’arrêter là. Sauf qu'en mai 2016, le Conseil constitutionnel établit, dans une affaire sans aucun lien, que le motif de rupture d’égalité devant l’impôt dépasse les frontières nationales. Conséquence : ce qui était jusque-là une confusion européenne, devient un risque constitutionnel. A ce moment-là, la facture s’élève à 5,7 milliards d’euros. Quatre mois plus tard, le Conseil constitutionnel émet des critiques claires contre la taxe sur les dividendes. En mai 2017, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) fait partiellement annuler la taxe, avant sa suppression totale par les Sages début octobre. Désormais, en tenant compte des pénalités et des intérêts, la facture grimpe à près de 10 milliards, selon Bercy.
Que savait Macron ? Maintenant qu’il faut rembourser une telle somme, il apparaît donc que plusieurs responsables avaient, sinon une idée du risque financier, au moins connaissance d’un problème juridique. Christian Eckert, rédacteur de l’amendement instaurant la taxe sur les dividendes puis secrétaire d’État au Budget, est en première ligne. Mais au-delà de Bercy, qui était au courant ? Jean-Marc Ayrault puis Manuel Valls et François Hollande pouvaient difficilement l'ignorer puisqu’un de leurs ministres avait reconnu publiquement la non-conformité de cette taxe avec le droit européen.
Quid du successeur de François Hollande à l'Elysée ? Olivier Faure, président du groupe Nouvelle Gauche à l'Assemblée nationale, a directement visé le chef de l'État lors des questions au gouvernement : "Il y avait quelqu'un qui supervisait les dossiers et qui est aujourd'hui président de la République". Une référence à la fonction de secrétaire général adjoint de l’Élysée, en charge de l’économie, poste occupé par Emmanuel Macron jusqu’en 2014. Ce à quoi Bruno Le Maire a rétorqué : "Nous n'avons pas la même conception de l'État, ce n'est pas le directeur de cabinet ou le conseiller qui est responsable, c'est le ministre", ciblant de nouveau le précédent gouvernement.
Qui va payer la facture ?
"Ces 10 milliards, il faudra les payer", assure Bruno Le Maire au Figaro. Alors que le remboursement de la taxe sur les dividendes fait planer la menace d’un dérapage budgétaire, Bercy cherche une solution pour rendre l’argent ponctionné aux entreprises entre 2012 et 2016. A priori, ce ne sont pas les Français qui paieront. "Une chose est sûre : pas d'augmentation d'impôts sur les ménages, pas de baisse du pouvoir d'achat pour nos concitoyens", a promis Richard Ferrand, chef de file des députés LREM.
Les équipes de Bercy réfléchissent donc à d’autres solutions. "L'idée de mettre en place une contribution exceptionnelle sur les très grosses entreprises n'est pas écartée", affirme Bruno Le Maire. "J'ouvrirai dès cette semaine une discussion avec l'Afep, le Medef et les chefs d'entreprise concernés. Je crois à leur sens civique. Face à cette situation exceptionnelle, ils peuvent comprendre que nous leur demandions un effort."