Qui a la meilleure répartie ? La voix la plus équilibrée ? Qui est le plus à l’aise pour répondre à ses contradicteurs ? Dans un débat, on a beau avoir les meilleurs arguments du monde, si la forme ne suit pas, c’est l’échec assuré. Les cinq candidats qui débattent lundi soir sur TF1 l’ont bien compris et cultivent chacun des points forts, tout en tentant de masquer leurs faiblesses. À l’aide d’experts, Europe1.fr passe en revue les aptitudes orales de chaque débatteur.
Jean-Luc Mélenchon, le "tribun à impact limité"
Sa carte-maîtresse. Tous les spécialistes contactés sont unanimes : Jean-Luc Mélenchon est le seul "vrai" tribun. "Il aime la voix et la parole, il en a fait son champ d’action. Il éprouve du plaisir à s’écouter déclamer de grandes textes", définit Jean Sommer, coach vocal qui tient le blog spécialisé jean-sommer.fr. Le rhétoricien Philippe-Joseph Salazar, auteur de Blabla République, voit dans ses débats et prises de parole "un numéro, une performance". Pour le politologue Jean Garrigues, qui a récemment publié Elysée Circus. Une histoire drôle et cruelle des présidentielles, l’affaire est entendue : "C’est le plus à l’aise dans cet exercice."
Son talon d’Achille. Un tribun, certes, mais avec un impact limité, concède Philippe-Joseph Salazar. Car Jean-Luc Mélenchon est souvent capable d’emportements nuisibles pour lui, note Jean Garrigues. "On sent beaucoup d’amertume, avec un discours bâti sur l’aigreur et une commissure gauche de lèvres descendante. Il lève les sourcils très haut et très longtemps, comme s’il s’agissait d’appels de phares pour appeler l’autre à la castagne", pointe de son côté le coach, conférencier et synergologue Stephen Bunard. Ce qui explique selon lui un "surcroît de langue", synonyme de tensions chez celui qui fait de chaque débat un combat, capable de transformer un plateau de télévision en ring de boxe.
On parie sur quelques longues diatribes prononcées avec un débit mitraillette, crescendo, contre les autres partis et pour la VIème République. Visé lors de son discours, samedi, à Paris, le Front national risque de ne pas être épargné. Un nouveau match Mélenchon-Le Pen après celui, inoubliable, de la campagne présidentielle 2012.
Marine Le Pen, l’avocate au sourire forcé
Sa carte-maîtresse. Ancienne avocate, Marine Le Pen maîtrise la rhétorique. “Elle a une capacité de retenue, assez calme, pour sécuriser son électorat”, décrypte Philippe-Joseph Salazar. Une bonne diction qui lui permet de parler pleinement, analyse Jean Sommer. Lequel voit dans sa parole un équilibre entre grave et aigu. Côté communication non-verbale, “il y a une douceur dans sa gestuelle qui est assez inhabituelle par rapport à son gabarit”, s’étonne Stephen Bunard.
Son talon d’Achille. Tel père, telle fille ? Pas pour les experts consultés. “Elle n’est pas forcément la meilleure oratrice”, juge Jean Garrigues, rejoint par Philippe-Joseph Salazar : “Marine Le Pen n’a jamais réussi à adopter le style d’extrême-droite, tribunicien, duquel se rapproche davantage son père Jean-Marie.” Lundi soir, il ne faudra donc pas s’attendre à de longues envolées dignes du fondateur du Front national. A la place, le “sourire Colgate” devrait s’afficher sur son visage, anticipe Stephen Bunard : “Elle l’a quand elle est très stressée, un peu comme Manuel Valls. Quand ils sourient, ça sonne faux.” Jean Sommer estime également que son sourire n’est “pas sincère” et peut la pénaliser quand elle sera attaquée sur la crédibilité de son projet.
On parie sur de petites phrases assassines lâchées sur ses quatre concurrents du soir. Avec un sourire forcé, à chaque fois.
Benoît Hamon, Caliméro en habits de professeur
Sa carte-maîtresse. Il est l’antithèse de son comparse de gauche, Jean-Luc Mélenchon. Lui parle d’une voix basse, “sans chercher à s’imposer” (Stephen Bunard), en se montrant “explicatif, honnête et modeste”, pour Jean Sommer, quand le candidat de la France insoumise, lui, délaisse la pédagogie pour le lyrisme. “Benoît Hamon, c’est Monsieur précision, avec des gestes qui rappellent ceux de François Hollande”, compare Stephen Bunard. Serait-il le prochain président “normal” ? “Il peut jouer sur le fait qu’il est un candidat hors de l’ordinaire, pour qui la fonction présidentielle n’est ni fatidique ni nécessaire. Une manière de dire : ‘je vais gouverner avec vous’ qui se ressent dans sa parole”, affirme Philippe-Joseph Salazar.
Son talon d’Achille. Le candidat socialiste laisse transparaître une forme d’étonnement, selon les spécialistes de l’art oratoire : a-t-il vraiment conscience d’être là ? Véritable Caliméro, selon Philippe-Joseph Salazar, “Benoît Hamon fait l’effet du militant de base ou du bon soldat qui se retrouve en première ligne. Il n’a jamais travaillé cet aspect vocal, avec une tendance à manger ses mots. En gros, il vient uniquement dire ce qu’il a à dire. Le risque, c’est qu’il devienne la personne que l’on écoute seulement par politesse”, développe Jean Sommer.
On parie sur des réponses de professeurs sur le financement du revenu universel et une démonstration à voix basse sur la nécessité de préparer un “futur désirable”.
François Fillon, une maîtrise remise en cause par les affaires
Sa carte-maîtresse. Un spécialiste du genre ? Lors des quatre débats de la primaire de droite, il s’était démarqué grâce à des interventions précises, tout en retenue. Sans doute une des clés de sa victoire en novembre dernier. “François Fillon peut donner une impression d’assurance, ce n’est pas quelqu’un qui cherche le passage en force”, pose Stephen Bunard. “C’est un très bon orateur, issu de la vieille école oratoire républicaine. Il a une capacité à ne pas s’énerver, à écouter, à jauger, puis à attaquer” dit de lui Philippe-Joseph Salazar.
#t=1m17sSon talon d’Achille. Autre scrutin, autres concurrents et, surtout, autres circonstances. Quatre mois après sa victoire surprise, le candidat de la droite a du plomb dans l’aile. Les affaires sont passées par là : “Il y a certains mots qui lui sont devenus très difficiles à prononcer, comme valeurs, engagement ou efforts”, note le coach vocal Jean Sommer. Selon Stephen Bunard, cette perte de contrôle se repère à sa langue, qui sort moins par le côté gauche de sa bouche depuis quelques temps, alors que cela démontrait un côté taquin”. Tous l’attestent : la partie sera corsée pour lui, qui “ne peut plus reprendre la posture de l’homme intègre et va être attaqué sur ces questions. Il est fragilisé”, constate Jean Garrigues.
On parie sur quelques phrases prononcées lentement pour dire qu’il est innocent dans les affaires qui le concernent.
Emmanuel Macron, le petit nouveau dans le grand bain
Sa carte maîtresse. Relativement néophyte dans l’art de débattre avec d’autres responsables politiques, Emmanuel Macron peut-il transformer ce coup d’essai en coup de maître ? “Il peut s’appuyer sur son regard caméra. Et quand ils plantent ses yeux dans ceux de son adversaire, cette manière pénétrante peut lui servir”, détaille Stephen Bunard, qui voit chez le candidat d’En Marche ! les mêmes codes inconscients de séduction et le même rire que chez… Nicolas Sarkozy.
Mais quand l’ancien chef de l’Etat n’hésitait pas à user d’une répartie cinglante contre ses adversaires, Emmanuel Macron “ne réagit pas aux attaques”, observe Jean Garrigues. De là à lui permettre d'être le cygne de ce débat ? “Il a le ton de l’intelligence complice plutôt que celui de l’orateur exubérant. Et il est devenu beaucoup plus calme après sa bouffée mystique à la fin de son discours de décembre”, analyse Jean Sommer.
Son talon d’Achille. Face à des bêtes de débats, rompus aux émissions politiques et à la contradiction, sa jeunesse en politique pourrait lui jouer des tours. Au milieu d’eux, Emmanuel Macron va montrer plus facilement des signes de tensions, explique Stephen Bunard. Ce dernier a repéré les moments où l’ancien locataire de Bercy était tendu : “sur le régalien, il penche la tête à droite, avec le sourcil gauche levé. Et il est sacrément embêté lorsqu’il est interrogé sur une hypothétique majorité parlementaire. Un embarras symbolisé par les démangeaisons qu'il peut avoir au niveau du nez.”
Nerveux, le favori des sondages ? Du côté du verbe, il est loin de faire l’unanimité. “Sa parole, c’est du botox, rempli de choses artificielles qui ne correspondent à rien”, lâche Philippe-Joseph Salazar. Jean Garrigues anticipe sa position de lundi soir : “Il va subir les attaques croisées de la gauche et de la droite. C’est lui qui a le plus à perdre.”
On parie sur une tentative de clarification de son positionnement "ni de droite ni de gauche", la voix légère, le pouce et l'index de la main droite pincés avec le regard planté dans les yeux des journalistes.