Nadine Hourmant n’est pas une inconnue des téléspectateurs habitués des émissions politiques. En septembre 2014, elle avait interpellé François Hollande sur France 2, dans Des paroles et des actes sur les cadeaux fiscaux faits par le gouvernement aux patrons. Cette syndicaliste FO, déléguée syndicale chez le volailler Doux, devait à l’origine à nouveau faire face au président de la République jeudi soir, toujours sur la chaîne publique, lors de l’émission Dialogue citoyen programmée jeudi soir à 20h15. Mais elle a finalement été écartée, tout comme un autre "citoyen", l'agriculteur Nicolas Le Borgne. Et selon des sources internes à France Télévisions citée par Le Monde et selon la principale intéressée, l’Elysée ne serait pas étranger à ce changement de programme, alors que François Hollande compte énormément sur cette émission pour débuter une reconquête de l’opinion.
"Tout est bien préparé, tout est bien verrouillé". Pour Nadine Hourmant, ce sont bien des "pressions de l’Elysée" qui sont à l’origine de son éviction, dont elle a été mise au courant mercredi dernier. "Pourquoi ce changement de programme ?", s’interroge-t-elle au micro d'Europe 1. "Pressions de l’Elysée, pression d’avoir à faire face à des citoyens de la France d’en bas qui veulent s’exprimer, d’avoir à faire face à une déléguée syndicale qui ne mâche pas ses mots ? Aujourd’hui, je pense que les politiques ne sont pas en capacité de faire face à la parole des citoyens de la France d’en bas. Et donc tout est bien préparé, tout est bien verrouillé", accuse-t-elle. Pourtant tout était prêt, à l’entendre. "Une équipe de France 3 était même venue me filmer le 31 mars, lors de la journée d’action contre la loi El Khomri, afin de préparer un reportage pour l’émission", assure-t-elle au Parisien de mardi.
"La raison c'était que le temps d'audience était trop important par rapport au 120 minutes qu'exigeait l'Elysée. Six personnes, c'était trop de temps de parole pour le Président. Est-ce que c'est l'Elysée ou est-ce que c'est France 2 qui a fait ce choix ?", s'est de son côté interrogé sur Europe 1 Nicolas Le Borgne, qui aurait posé la question suivante au chef de l'Etat "est-ce qu'il veut encore de l'agriculture en France ?". Et d'ajouter : "Si c'est vraiment l’Élysée qui a pris cette décision, c'est du mépris total ! C'est même honteux de ne pas donner la parole à des personnes qui sont sur le terrain tous les jours, qui galèrent. Monsieur Hollande a-t-il peur d'avoir la vérité en face ?".
"A aucun moment nous ne sommes intervenus". L’Elysée et France Télévisions se défendent de concert. "Nous avions pré-selectionné une quinzaine de citoyens pour participer à cette émission. Nous avons recentré au fur et à mesure, afin de pouvoir aller au fond des sujets. Au final, seuls quatre Français vont intervenir jeudi soir", assure la direction de la chaîne au Parisien. "C’était une volonté de notre part, pas une demande de l’Elysée", affirme de son côté Michel Field au Monde. "Avoir moins de citoyens permettait d’avoir un vrai dialogue, pas seulement un témoignage, une question et une réponse du président, et puis c’est tout."
L’Elysée rejette également toute intervention. "A aucun moment nous ne sommes intervenus dans la composition du panel pour interroger François Hollande", assure-t-on à Europe 1. Pourtant, les deux parties ont bel et bien longuement discuté du déroulement de l’émission. "Nous avons juste décidé la semaine dernière, en accord avec la chaîne, de laisser plus de place aux questions des journalistes", admet un proche de François Hollande au Parisien. "Cette émission n’a pas été montée sous la dictée de l’Elysée, loin de là", assure de son côté Michel Field dans Le Monde. "Il y a eu des discussions âpres, où chacun a défendu son point de vue."
Une enquête interne à France 2. Cette affaire illustre en tout cas les relations particulièrement tendues entre le nouveau patron de l’information de France Télévisions et sa rédaction. Critiqué pour ses méthodes, l’ancien présentateur du Cercle de minuit l’est aussi, particulièrement, pour la préparation de Dialogue citoyen, au cours de laquelle il a été jugé trop conciliant avec l’Elysée. "Nous allons mener une enquête interne", annonce Manuel Tissier, président de la Société des journalistes de France 2, dans Le Parisien. "Vu l’enjeu, une émission avec un président de la République se fait toujours en collaboration avec l’Elysée, mais nous allons voir si c’est allé trop loin cette fois."