Emmanuel Macron s'adressait mardi à quelque 800 étudiants de l'université de Ouagadougou au Burkina Faso. L'Elysée avait fait savoir en amont que le président de la République voulait tordre le cou aux fantômes de la "Françafrique" et reposer les bases des relations de la France avec les pays du continent africain. Vincent Hervouët, éditorialiste à Europe 1 sur les questions internationales, et Hélène Jouan, chef du service politique d'Europe 1, ont scruté de prêt l'intervention du chef de l'Etat. Pour eux, la rupture voulue par Emmanuel Macron s'est moins incarnée dans le contenu de son discours que dans la manière dont le locataire de l'Elysée à fait le show.
Macron brûle les planches et les vieilles lunes du colonialisme
Par Vincent Hervouët, éditorialiste à Europe 1 sur les questions internationales
"Il faut l’avouer, les grands discours, on s’en souvient à peine. Il surnage une phrase de la harangue de Villepin à l’ONU – "le vieux pays d’un vieux continent" -, et de tous les discours de Jacques Chirac, un seul mot," multipolaire". De Nicolas Sarkozy à Dakar, on se souvient d'un contre-sens sur l’homme africain qui n’est "pas assez entré dans l’histoire'. Barack Obama a dit ensuite la même chose à Accra, mais il a fait un tabac. Pourquoi ? Parce que c’est Barack Obama.
Rien de nouveau. Emmanuel Macron a réussi son grand oral mardi, alors qu’il a répété à peu près la même chose que ses prédécesseurs. À savoir que la "Françafrique", c’est fini. Mais que la France reste l’avocat de l’Afrique dans le monde. Que l’Afrique, c’est l’avenir, mais que la démographie, la corruption, le changement climatique, sont des défis à relever ensemble. Bref, il a répété le même refrain mais il a été applaudi. Le discours n’avait rien de visionnaire mais l'allocution de Ouagadougou va rester. Surtout, c’est le jeu des questions-réponses qui a suivi, véritable moment de télé réalité, qui fait sens.
Bête de scène. Car Emmanuel Macron est un formidable chauffeur de salle. On se dit d’abord qu’il aime les discours à l’université : l’Europe à la Sorbonne, l’Afrique à la fac burkinabé, et parce qu’il repasse tout le temps Normale Sup. Mais c’est plutôt sur l’estrade des cours de théâtre de sa première à Amiens qu’il faut aller chercher cette capacité à brûler les planches. Dans l’improvisation, il n’a peur de rien, il l’a dit. Les Africains ont l’habitude des généraux présidents, des capitaines présidents, là ils ont eu le prof président et c’est une vedette.
Table rase du passé. Emmanuel Macron les a désarmés, parce qu’il est nouveau, parce qu'il est de leur génération et qu'il a le culot de se prétendre étranger au ressentiment qui est né de la colonisation puis de la décolonisation. Il est le président mais il fait comme si le passé de la République ne l’engageait pas, comme s’il était à peine au courant de ces vieilles lunes : l’épopée coloniale et l’amertume qui a suivi. D’ailleurs, quand les Burkinabé lui demandent des comptes sur ce que la France sait du complot contre Thomas Sankara, il répond qu’il n’a rien dans les poches, rien sur la conscience : il ouvre les archives.
Un tour de passe-passe ? L’auditoire s’est laissé prendre par tant de séduction, de cabotinage. Enlevez le soupçon et oubliez la "Françafrique", vous découvrez que la République cherche à se rendre utile, qu’elle est soucieuse d’équilibres, qu’elle travaille au bien commun. Est-ce que cela suffira à désarmer l’hostilité qui monte contre les Français en Afrique de l’ouest et qu’illustre le caillassage mardi de l'un des minibus du convoi à Ouagadougou ? Est-ce que c’est le début d’une catharsis, pour se débarrasser du refoulé colonial ? Un show télévisé ne suffit pas à faire l’histoire, ni une psychanalyse."
Un show à l'américaine pour renouveler l’expression politique
Par Hélène Jouan, chef du service politique d'Europe 1
"Je ne retirerais rien au propos de Vincent Hervouet. Ce qui était frappant, c’est qu’on ne savait plus très bien à qui s’adressait Emmanuel Macron en parlant cash à cette jeunesse burkinabé, en lui refusant toute position victimaire. "Le passé doit être dépassé", a-t-il balancé. "Pour moi l’Afrique, c’est Mandela, pas le colonialisme". En lui faisant la leçon mais pas la morale, Emmanuel Macron parlait-il à la jeunesse africaine ou à la jeunesse française, traversée parfois, comme il aime à le dire, de "passions tristes" ? Mélange de show, très entertainement à l’américaine, avec un soupçon de jouissance narcissique et de discussion franche, cette intervention s'est en tout cas débarrassée des oripeaux des circonvolutions diplomatiques du post ou néocolonialisme.
Le stand-up d'Edouard Philippe. Cet exercice est à rapprocher d'une autre prestation, lundi soir, celle d'Edouard Philippe lors du spectacle des Live Magazine, une soirée où journalistes, dessinateurs et réalisateurs viennent raconter leur histoire sur scène. Sur le programme, un invité surprise, présenté comme "un grand type marrant". Après être resté en coulisses pour se mettre dans l’ambiance, Edouard Philippe a déboulé sur la scène du Casino de Paris. Au centre d’un petit cercle de lumière, tout seul, le Premier ministre s'est lancé dans un stand-up à la Jamel Debbouze.
Un récit drolatique. C’est l’histoire d’un type qui le 24 avril, au lendemain du premier tour de la présidentielle, reçoit un coup de fil du secrétariat d’Emmanuel Macron pour lui proposer une rencontre. S'en suit le récit drolatique de son arrivée sous des couvertures pour ne pas se faire repérer, de la pression qui monte, de la peur panique qui s’empare de lui, quand il subodore ce qui l’attend. Il commence même à perdre du poids. Après l'élection d'Emmanuel Macron, une nouvelle rencontre a lieu, avec des ruses d’espion plus proches d’OSS 117 que de James Bond pour semer les journalistes. La nomination tombe, et le trac s'envole. Edouard Philippe est prêt. Le message politique est clair : "Engagez- vous rengagez vous, si vous voulez transformez votre pays", et au passage faire une cure d’amaigrissement !
Casser les codes. Quel rapport avec l’exercice d’Emmanuel Macron en Afrique, me direz-vous ? Les exercices sont évidemment différents, dans leur contexte et dans leurs publics, mais les deux renouvellent radicalement l’expression politique. La nouvelle génération au pouvoir, la façon décomplexée de parler aux jeunes Africains pour l’un, dans l’autodérision maîtrisée pour l’autre, cherche à casser les codes politiques. Fini le "tout cela doit rester secret, cela ne vous regarde pas". Edouard Philippe vient raconter ce qu’il vit parce que la politique n’est qu’une histoire d’hommes et d’aventures. Un discours de rupture générationnelle, transgressif sinon dans le fond, au moins dans la forme, même s’ils n’ont rien inventé, le jeune président Valéry Giscard d’Estaing s’était prêté avant eux à cette communication mêlant narcissisme et part de vérité à partager avec chaque français. Mais c’est vrai qu'Emmanuel Macron et Edouard Philippe nous ont parlé différemment de ce à quoi on était habitués."