Depuis la mort de l'ancien Premier ministre socialiste, samedi, les hommages à Michel Rocard se succèdent. Et, avec eux, les revendications d'héritage. Manuel Valls et Emmanuel Macron se réclament du fondateur de la "deuxième gauche", mais ils ne sont pas les seuls. Benoît Hamon ou Anne Hidalgo, par exemple, ont également parlé de l'influence du défunt. Mais la gauche n'a pas le monopole de l'héritage rocardien. Il se pourrait même que le véritable héritier se trouve à droite.
Alain Juppé adoubé. De fait, dans sa dernière interview, accordée au magazine Le Point, Michel Rocard adoubait... Alain Juppé. "C'est un homme sage, responsable et compétent, tout cela est déjà beaucoup", répondait-il lorsqu'on lui demandait si le maire de Bordeaux ferait un bon président. D'autant plus frappant que, dans le même entretien fleuve, Michel Rocard évoquait "le pauvre Macron, ignorant le socialisme des origines, qui avait une dimension internationale et portait un modèle de société". Et reprochait à Manuel Valls d'avoir voulu changer le nom du Parti socialiste.
Points communs. Comment expliquer ces mots doux à l'égard du candidat à la primaire de la droite ? Les deux hommes se connaissent bien, ont travaillé ensemble en 2010 sur les priorités du grand emprunt lancé par Nicolas Sarkozy. Un travail qu'ils ont prolongé dans un livre, La politique telle qu'elle meurt de ne pas être (éd. JC Lattès). Tout au long des 315 pages de dialogue, Alain Juppé et Michel Rocard se rejoignent sur des points clefs. Le second juge par exemple absurde de fixer par la loi la durée du temps du travail, préférant la renvoyer à des négociations entreprise par entreprise, n'en déplaise à une partie de la gauche -qui, aujourd'hui, l'encense. Les deux tombent également d'accord sur la réforme de la formation ou la relance de l'économie par l'investissement dans des secteurs clefs comme le numérique et les filières écologiques.
L'exercice du pouvoir plutôt que la conquête. L'autre point commun entre Alain Juppé et Michel Rocard, c'est leur façon de s'adresser aux Français en ayant pour boussole l'exercice du pouvoir, et non sa conquête. Le maire de Bordeaux revendique ce positionnement, qui se traduit par des discours et des prises de position nuancées, complexes, quand d'autres, comme Nicolas Sarkozy, parlent "choc" et enflamment les foules. "Un homme politique se consacre à la conquête du pouvoir, un homme d’État se prépare à gouverner, ce n’est pas la même chose", explique d'ailleurs un proche d'Alain Juppé, taclant au passage le président des Républicains.
Pari risqué. Reste que l'enseignement du parcours de Michel Rocard, c'est que ce discours de vérité n'est pas porteur pour les élections. L'ancien Premier ministre n'a jamais réussi à arriver à l'Élysée. Alain Juppé ne l'ignore pas. Alors que sa côte est en baisse, va-t-il changer sa façon de faire campagne ? Son entourage s'y refuse. Pas question de changer de stratégie, le pari est justement celui de l'exercice du pouvoir, pas de la conquête. Même si c'est un pari risqué.