Florian Philippot, le favori devenu paria

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Longtemps éminence grise de Marine Le Pen, Florian Philippot a été contraint de quitter le FN jeudi. Il paye les limites de sa stratégie, mais aussi la haine d’autres cadres et son statut de fusible. 

Les histoires d’amour finissent mal… Florian Philippot et Marine Le Pen ont donné une nouvelle illustration de cet adage. Après quelque huit années d’idylle, discrète dans un premier temps, le couple s’est séparé officiellement jeudi matin, après plusieurs mois de crise, couvée d’abord, ouverte ensuite. Le divorce a été annoncé publiquement par le désormais ex-vice-président du FN, visiblement ému, sur France 2. La rupture devenait inévitable, tant Florian Philippot avait fini par cristalliser, au sein du parti, les jalousies. Il était aussi le bouc émissaire tout désigné des défaites électorales du printemps  2017.

Un "coup de foudre" réciproque

Comme quoi, les "coups de foudre" ne sont en rien la garantie d’un amour éternel. L’expression a été utilisé tant par Florian Philippot que par Marine Le Pen pour évoquer leur première rencontre. C’était le 13 mai 2009, à la brasserie des Trois obus, à Saint-Cloud, autour du souverainiste Paul-Marie Couteaux. L’une craint de s’ennuyer ferme face à un jeune diplômé de énarque de 27 ans ; l’autre est "émoustillé" de rencontrer celle qui mène alors, avec panache juge-t-il, la campagne des européennes du FN. C’est lui qui le raconte dans Philippot 1er, publié en mars dernier sous la plume des journalistes Astrid de Villaines et Marie Labat.

Résultat : "un coup de foudre amical et professionnel", dit Florian Philippot en 2012 au Plus de L’Obs. "Un coup de foudre intellectuelle", confirme Marine Le Pen dans Philippot 1er. "Nous réfléchissons de la même manière", s’épanche même la présidente du FN. Et c’est tout naturellement que les deux personnalités travaillent, très vite, ensemble.

Un amour caché

Rapidement, Florian Philippot intègre les réunions de travail de Marine Le Pen. A la proximité intellectuelle s’ajoute la force de travail du jeune énarque, une addition qui finit de conquérir pleinement celle qui n’est alors que vice-présidente du FN. Son nouveau collaborateur est pourtant plus mesuré. Lui qui vient du camp de Jean-Pierre Chevènement - qui conteste avoir travaillé avec lui - a du mal avec le Front national version Jean-Marie Le Pen. Trop libéral, trop identitaire, pas assez souverainiste.

Alors pendant de longs mois, il s’emploie à convertir Marine Le Pen à sa doctrine : une économie plus tournée vers le social et surtout, surtout, une haine viscérale vis-à-vis de l’Union européenne, désignée comme la responsable de tous les maux français. Et ça marche. C’est donc un Florian Philippot confiant qui adhère enfin au FN en octobre 2011, parti dont Marine Le Pen a pris la tête, à la suite de son père, en janvier de la même année.

Une idylle vécue au grand jour

Le passage de l’ombre à la lumière est radical. Désormais Florian Philippot est partout, au côté de Marine Le Pen évidemment, mais aussi dans les médias. Le jeune homme, pas encore trente ans, est à l’aise dans un exercice qu’il adore. Mais c’est encore et toujours dans le rôle d’éminence grise qu’il excelle. Déjà, la campagne présidentielle de 2012 est teintée du souverainisme social cher au cœur de son lieutenant. Mais la mayonnaise ne prend pas, et la candidate frontiste termine troisième du premier tour.

Commence alors le grand œuvre de Florian Philippot : la dédiabolisation du Front national. Fini l’ultra-libéralisme, fini le créneau identitaire de toujours, fini, surtout, les relents négationnistes qui collent à la peau du parti. Le vice-président du FN, nommé à ce poste en juillet 2012, en charge de la stratégie et de la communication, veut faire du passé table rase.

Cette fois, la recette paye. Aux municipales de 2014, le Front national remporte plus d’une dizaine de mairies de ville moyenne, mais aussi Fréjus et un secteur de Marseille, peuplé de plus de 150.000 habitants. Mais c’est aux européennes de 2014 que le parti connaît son apothéose. Avec 24,86%, le FN est tout simplement le premier parti de France. Le couple Florian Philippot-Marine Le Pen est au top, et rêve tout haut d’une victoire à la présidentielle de 2017.

Les premiers nuages

Malgré les succès électoraux, Florian Philippot commence à agacer au sein du Front national. Par son omniprésence d’abord, mais aussi par la volonté d’imposer définitivement sa ligne politique en abandonnant certains fondamentaux sociétaux. Quelques remarques homophobes fusent, l’homosexualité du vice-président du FN n’étant alors plus un secret. Ces tensions atteignent leur paroxysme quand la guerre  devient ouverte avec Jean-Marie Le Pen.

Le "Menhir" réitère en avril 2015 dans le journal d’extrême droite Rivarol et sur BFMTV des propos polémique sur la Seconde guerre mondiale et notamment sur les chambres à gaz, "détail" de l’Histoire. Florian Philippot pousse alors Marine Le Pen à écarter son père de son poste de président d’honneur du parti. Le Pen père riposte. "On voit très bien qu’il s’empare des leviers de commande, place ses hommes, ses mignons, partout", déclare-t-il sur Radio Courtoise le 11 mai. Finalement, Marine Le Pen s’exécute, pour préserver ses chances électorales à l’avenir. Mais la blessure est là, forcément.

Puis en 2015, le Front national version Philippot essuie ses premiers revers électoraux. Certes, le parti enregistre encore d’excellents scores, mais il ne remporte aucun département en mars 2015, et aucune région en décembre de la même année. Apparait alors la notion de "plafond de de verre électoral", sur lequel le FN se cogne immanquablement au second tour. Apparaît, surtout, pour la première fois de manière si criante, une fracture idéologique entre les tenants de la ligne Philippot, et celle d’une ligne plus identitaire incarnée par Marion Maréchal-Le Pen, alors en pleine ascension. De plus en plus ouvertement, Florian Philippot est critiqué, et il se sait attendu au tournant pour les échéances électorales de 2017. En gros, ça passe ou ça casse.

Le divorce de 2017

Et ça casse, comme chacun le sait. Marine Le Pen est certes qualifiée pour le second tour, mais elle se saborde lors du débat de l’entre-deux-tours face à Emmanuel Macron. Aux législatives suivantes, huit députés FN ou apparentés entrent à l’Assemblée nationale. Un score historique, mais décevant, et loin de l’objectif affiché de 15 élus, seuil nécessaire à la constitution d’un groupe parlementaire.

Mais c’est Florian Philippot lui-même qui se tire une balle dans le pied le 15 mai 2017, juste après le second tour de la présidentielle, et avant même les législatives, en créant son association, les Patriotes. Pour la première fois, Marine Le Pen dit du mal de son lieutenant, jugeant dans L’Opinion le nom "ringard", et craignant des "incompréhensions". Les détracteurs du vice-président du FN profitent eux de l’aubaine pour tirer sur leur cible favorite, accusée de vouloir s’émanciper et de vouloir à terme devenir Calife à la place du Calife.  

La trêve estivale offre un sursis à Florian Philippot, mais l’inéluctable se produit finalement en septembre. Par deux fois, Marine Le Pen lui demande de quitter la présidence des Patriotes. Par deux fois, il refuse. Le ton monte alors dans les médias. "Je prendrai mes responsabilités", prévient mardi Marine Le Pen. "Pistolet sur la tempe", rétorque son vice-président le même jour. Le lendemain soir, la présidente du FN suspend de toute délégation à Florian Philippot. Qui n’a plus d’autre choix que de partir. "On m'a dit que j'étais vice-président à rien... Ecoutez, je n'ai pas le goût du ridicule, je n'ai jamais eu le goût de rien faire, donc bien sûr je quitte le Front national", déclare-t-il sur France 2.

Marine Le Pen se sépare donc de celui qui lui a permis d’élargir son socle électoral mais sans accéder au pouvoir. Au passage, elle détourne l’attention de sa propre responsabilité sur les défaites électorales récentes, en se choisissant un bouc émissaire tout désigné. Quant à Florian Philippot, le voilà à l’aube d’une nouvelle étape dans la vie politique. Alors qu’une grande partie du mouvement lui tourne désormais le dos, voire se félicite ouvertement de son départ, le voilà renvoyé, comme c’est souvent le cas dans une famille en cas de rupture, à son statut premier : celui de pièce rapportée.