François Fillon ira "jusqu'au bout". Coûte que coûte. Qu'importe les concerts de casseroles sur son passage ou le fait qu'il ne puisse plus se déplacer sans être encerclé par des gendarmes. Qu'importe, aussi, que les responsables Les Républicains le lâchent les uns après les autres. "Les élus ? Bah, on fera sans eux !", a répondu le candidat au Monde, jeudi. Empêtré dans l'affaire des emplois présumés fictifs de son épouse Penelope, qui valent au couple d'être convoqué devant les juges en vue d'une possible mise en examen dans deux semaines, le Sarthois tient bon.
Cette opiniâtreté, louable pour ses défenseurs, suicidaire pour les autres, peut paraître à tous assez inattendue. Chez LR, on n'imaginait pas devoir un jour surnommer en riant (jaune) François Fillon "Andreas Lubitz", du nom de ce pilote qui avait précipité l'avion de la Germanwings jusqu'au crash. Au cours de sa carrière politique, le Sarthois n'a jamais semblé être le forcené, le sanguin, l'aveuglé qui s'accroche même lorsque ses plus proches lui conseillent de laisser tomber. Au contraire. À lui le calme, la discrétion. Une image qu'il se forge aussi par comparaison avec Nicolas Sarkozy, président omniprésent nettement moins sobre, et qui va jusqu'à le desservir. "Je vois les caricatures, cette image d'homme ennuyeux, qui n'est pas forcément vraie", disait d'ailleurs François Fillon le 6 novembre, dans l'émission Une ambition intime.
Rebelle. "Pas forcément vraie", c'est le cas de le dire. En réalité, les jeunes années de François Fillon renvoient plutôt l'image d'un homme réticent à toute forme d'autorité. Renvoyé de son collège pour avoir lancé une ampoule lacrymogène en classe, turbulent, dissipé, l'adolescent "se rebelle contre tout, contre l'école et contre ses parents", raconte la journaliste Christine Kelly dans sa biographie consacrée à l'ancien Premier ministre. On y apprend que François Fillon fait le mur, emprunte la 2 CV de sa mère et la plante dans la porte du garage, "estime qu'il ne reçoit pas assez d'argent de poche" et remet en cause l'autorité de son père en permanence.
Tout lui est dû. Surtout, François Fillon n'a pas toujours eu cette image de sérieux qui, aujourd'hui, lui colle à la peau. Au contraire. Il a obtenu son bac sans mention, s'est rendu à l'université du Maine en dilettante, et a toujours pu compter sur d'autres pour lui ouvrir toutes les portes. Dans une enquête qui lui est consacré, trois journalistes du magazine Society reviennent sur ses débuts de carrière, extraordinairement faciles. François Fillon rêve d'être journaliste ? Son parrain, Joël Le Theule, député de la Sarthe, lui obtient un stage de trois mois à l'agence AFP de Madrid alors qu'il n'a que 18 ans. En 1975, lorsque la fonction d'assistant parlementaire est créée, Joël Le Theule "propose naturellement le poste à son 'Fefe', qui accepte".
" Il ne supporte pas d'être deuxième. Tout le monde garde le souvenir de sa collaboration avec Sarkozy mais c'est l'exception, pas la règle. "
"Quand il se tempérera, on pourra en faire quelque chose". François Fillon est habitué à ce que tout lui soit dû. Lorsque Joël Le Theule lui organise un rendez-vous avec Hélène Izambert, maire de Crannes-en-Champagne, pour qu'elle lui apprenne les rudiments de la politique, il se pointe avec trois heures de retard "comme si de rien n'était", raconte l'ancienne édile dans Society. Celle qui va devenir son mentor pendant près d'un an le traite de "petit con". Et lui apprend à se calmer. "Quand il se tempérera, on pourra bien en faire quelque chose", lui répète à l'époque Joël Le Theule.
Chef de bande. Alors oui, François Fillon, bon élève, a fini par s'enticher de la politique et se tempérer. Mais n'en a jamais perdu pour autant son tempérament de chef de bande. Celui qui, selon Christine Kelly, "se débrouillait toujours pour être en tête" au temps où il faisait de l'alpinisme, n'aimait rien tant que "diriger le groupe" et jouer les premiers de cordée, a gardé la même trempe pour sa carrière politique. "Tout le monde garde le souvenir de sa collaboration avec Sarkozy mais c'est l'exception, pas la règle", prévient son ami Bernard Larvol, ancien journaliste, dans Society. "Il ne supporte pas d'être deuxième."
Maintien impossible, retrait improbable. Enfin, cette primaire gagnée haut la main et cette dynamique enclenchée à l'automne lui promettaient une première place à la présidentielle. Enfin, il n'allait plus être le "collaborateur" d'un autre. Difficile dans ces conditions pour François Fillon de lâcher prise. D'autant plus que le contexte politique ne facilite pas un retrait : aucun plan B ne fait l'unanimité à droite et il est bien tard pour lancer la campagne de quelqu'un d'autre. "Si tu avais dû te retirer, cela aurait dû être il y a un mois. Maintenant, tu dois rester. Sinon la droite explose", a dit Laurent Wauquiez, vice-président des Républicains, au candidat. Au vu du nombre de défections au sein de son camp, il semblerait qu'elle explose déjà.