Que s'est-il passé mercredi pour qu'en l'espace de cinq heures à peine, Matignon et l'Élysée donnent deux sons de cloche différents sur un sujet aussi sensible en ce moment que la hausse des taxes sur les carburants ? À 15 heures, à l'Assemblée nationale, Edouard Philippe se présente devant les députés pour leur exposer son plan de sortie de crise. Il rappelle le moratoire de six mois que l'exécutif veut mettre en place pour réfléchir à une façon plus équitable d'instaurer cette taxation du diesel, et avertit : "si nous ne trouvons pas de mesures [d'accompagnement plus justes], nous ne rétablirons pas ces taxes." L'opposition, de droite comme de gauche, bondit d'ailleurs sur le sujet en réclamant une annulation pure et simple plutôt que cette suspension.
Mais peu avant 20 heures, l'Élysée parle à France Info et annonce qu'il s'agira en réalité bien d'une annulation. Sur le plateau de BFM TV, le ministre de la Transition écologique, François de Rugy, explique : "Comme ça, il n'y a pas d'entourloupe. Le président, je l'ai eu au téléphone il y a quelques minutes. Il m'a dit : 'les gens ont eu l'impression qu'il y avait une entourloupe, qu'on leur disait que c'est une suspension mais hop, ça reviendra après'."
Philippe "pas assez présent" sur le front... Simple erreur de communication entre les services du Palais présidentiel et Matignon ? "Il n'y a aucune cacophonie", a tenu à clarifier le Premier ministre, jeudi sur TF1, assurant travailler avec "la confiance du président". Reste que rien n'arrive par hasard sur des questions aussi sensibles. Et ce cafouillage illustre les difficultés actuelles du tandem exécutif. Edouard Philippe est affaiblit politiquement, d'abord parce que certains, y compris au sein de LREM, estiment qu'il n'a pas bien géré la crise des "gilets jaunes" en se montrant trop rigide.
" La question de votre maintien à Matignon va très vite se poser "
Son intervention télévisée au soir du 17 novembre avait été jugée ratée par une partie de la majorité, qui n'a pas compris pourquoi il refusait aussi sèchement la main tendue des syndicats. Pire, le 1er décembre au soir, après trois samedi de manifestation, dont deux avec beaucoup de violences notamment à Paris, le Premier ministre a fêté son anniversaire avec une trentaine de personnes, dont des membres du gouvernement. La goutte de trop pour Emmanuel Macron, qui aurait qualifié Edouard Philippe de "branleur" et lui aurait reproché de n'avoir "pas été assez présent", selon Le Canard Enchaîné.
…et fragilisé par le jeu naturel des institutions. Mais le chef du gouvernement fait aussi les frais du jeu naturel des institutions de la Ve République. Dans un régime présidentiel, le Premier ministre joue régulièrement le rôle de fusible. Ce que l'opposition n'est pas sans savoir. "La question de votre maintien à Matignon va très vite se poser", a lancé le chef de file des députés LR, Christian Jacob, au principal intéressé mercredi. Jean-Luc Mélenchon, patron du groupe de la France insoumise, s'est lui aussi montré cassant : "Votre discours sonne comme un discours d'adieu."
" Il serait trop facile de montrer du doigt une seule personne. On est dans un collectif. "
Dans les rangs de la majorité, en revanche, on a temporisé. Un Premier ministre sur le départ ? "On dit ça chaque fois qu'il y a un moment de turbulence", balayait mercredi le député Hervé Berville. "En réalité, dans le moment qu'on vit actuellement, absolument tout le monde est affaibli." Pour Elodie Jacquier-Laforge, députée LREM, "à partir du moment où le vote [de mercredi] est positif, Edouard Philippe a toute sa légitimité à rester, puisqu'il est soutenu par l'Assemblée nationale". Et puis, jugeait-elle, "il serait trop facile de montrer du doigt une seule personne. On est dans un collectif".
Une question de timing. Reste qu'un changement de gouvernement représente, pour le président, la possibilité de reprendre la main et de repartir du bon pied. L'option de la dissolution de l'Assemblée nationale n'en est pas une : dans le climat actuel, c'est non seulement s'exposer à perdre sa majorité, mais en plus amener les extrêmes en grand nombre dans l'hémicycle. Alors que la fronde ne faiblit pas, l'hypothèse d'un remplacement à la tête de l'exécutif, et pourquoi pas plus large, fait donc son chemin. "Dans le meilleur des cas, il faudra un nouveau gouvernement avant les élections européennes. Dans le pire, avant Noël", estime un macroniste dans les colonnes du Figaro.
Le timing dépendra fortement de l'évolution de la mobilisation des "gilets jaunes". "L'acte 4" des manifestations inquiète jusqu'au sommet de l'État, où on craint une "très grande violence". Sans désescalade, Emmanuel Macron pourrait choisir d'agir très rapidement.