Cela devient un rituel. Tous les vendredis, certaines villes se préparent aux manifestations des "gilets jaunes" du lendemain. En ce 11 janvier, l'une d'entre elles est particulièrement vigilante : la commune de Bourges a en effet été choisie par certains manifestants, organisés sur Facebook, pour accueillir la mobilisation du lendemain.
En réalité, cette idée a été lancée dès le 31 décembre, comme l'avait repéré à l'époque le journaliste Vincent Glad, qui observe de près l'organisation des "gilets jaunes" sur les réseaux sociaux. Ce jour-là, c'était le groupe Facebook "La France en colère", fondé par Eric Drouet et comptant aujourd'hui plus de 65.000 membres, qui évoquait la préfecture du Cher. "Pas de lutte des classes, tous chez les Bourgeois !", proclamait un post. Au-delà du jeu de mots (les habitants de Bourges étant en réalité les Berruyers et Berruyères), d'autres raisons plus sérieuses sont avancées.
La team d'Eric Drouet vient de publier les détails de l'acte 9 qui devrait avoir lieu... à Bourges. Parce que c'est au centre de la France et pour le jeu de mots avec "bourgeois". Bon courage les berruyers.https://t.co/zMeZU4D4DNpic.twitter.com/LtdUtZYsjW
— Vincent Glad (@vincentglad) 31 décembre 2018
"Tous au centre". La première d'entre elles, c'est la localisation géographique de cette ville de 68.000 habitants. À 240 kilomètres au sud de Paris, Bourges jouit d'une position centrale. "On a voulu changer de ville pour essayer de faire en sorte que les gens n'aient pas beaucoup de distance à faire", a expliqué Maxime Nicolle, alia FlyRyder, l'un des porte-parole des "gilets jaunes", à Konbini. "C'est à peu près à distance équivalente de toutes les grandes villes."
Sur Facebook, la page de l'événement ne dit pas autre chose : "Un rassemblement de tous au centre pour confirmer notre unité et permettre à tous d'être à distance égale en partance des grandes villes !" Sur la page de Priscillia Ludosky, une autre leader du mouvement, plusieurs "gilets jaunes" approuvent. "Très bonne idée le centre de la France", estime ainsi Christophe. "Cela rapproche les gens qui sont dans le sud du pays et diminue les coûts de transport", abonde Jean-Marc. "Paris n'est pas le centre du monde."
D'autres en revanche contestent ce choix. "Arrêtez de nous prendre pour des moutons, à nous dire tous les samedis d'aller à Paris, Marseille, Bourges [ou] aux frontières ! Vous êtes à côté de la plaque ! On n'a pas de thunes", tonne Roger. Germain, lui, fustige une "idée stupide". "L'impact médiatique de Bourges sera nul comparé à Paris."
Ancienne capitale de Gaulois. Une autre raison invoquée est, elle, plus historique. On la retrouve sur la page Facebook de l'événement. À un internaute qui pose la question du choix de Bourges, un autre répond : "Bourges [c'était] Avaricum, ancienne capitale de France." "Nous sommes des gaulois réfractaires", plaisante un autre, allusion aux mots qu'Emmanuel Macron avait employés au mois d'août dernier.
Historiquement, ce n'est pas tout à fait vrai. Bourges s'est bien appelé Avaricum et a bien été une capitale… mais du peuple des Bituriges Cubes seulement. Peuple qui s'est d'ailleurs révolté contre les Romains en 53 av. JC. Tout un symbole.
"Une ville moins connue des forces de l'ordre". Surtout, les "gilets jaunes" espèrent qu'un changement de lieu entraînera aussi un changement d'ambiance, alors que des violences sont constatées quasiment chaque samedi depuis début décembre lors des défilés parisiens. "On voulait une ville un peu moins connue des forces de l'ordre pour éviter le nassage et la tension qui monte", a précisé Maxime Nicolle à Konbini. L'idée que les manifestations se déroulent mieux en province a souvent été avancée par les "gilets jaunes" dans le mois qui vient de s'écouler pour expliquer que les débordements à Paris ne sont pas représentatifs du mouvement. Et ce, même si des violences ont éclaté aussi ailleurs, notamment à Toulouse et Saint-Etienne.
" Pour samedi, je vous invite à rester pacifiques mes amies et amis. Nous sommes à Bourges, pas à Paris. "
Sur leur page Facebook, les femmes "gilets jaunes" du Cher espèrent en tout cas que Bourges ne viendra pas s'ajouter à la liste des villes où les manifestations ont dérapé. "Pour samedi, je vous invite à rester pacifiques mes amies et amis", écrit Séverine. "Nous sommes à Bourges, pas à Paris. Bourges retournée ne se relèverait pas aussi bien que la capitale."
Là encore, certains internautes se montrent sceptiques. "Bourges n'est pas du tout une bonne idée", estime Eric sur la page de Priscillia Ludosky. "C'est une ville aux rues étroites, [dans lesquelles] il est aisé de faire une nasse CRS en deux temps trois mouvements. C'est le genre de ville qui rend très dur tout débordement. De plus, Bourges est une ville ingérable au niveau voiture. Vous allez être dans une m*rde infâme pour vous garer. Manifestement, ceux qui ont proposé cette idée ne sont jamais venus pour [ne pas] se rendre compte de ce genre de difficultés."
Quoi qu'il en soit, Bourges se prépare. La préfète du Cher, Catherine Ferrier, a pris un arrêté vendredi matin pour interdire toute manifestation dans le centre-ville. En revanche, il sera possible de déambuler sur les boulevards périphériques. Du côté des "gilets jaunes", l'heure est à caler son covoiturage sur les différents groupes Facebook.
Que les choses soient claires : l'interdiction de manifester est limitée au centre-ville (centre historique) tel que le plan l'indique. A l'extérieur de ce périmètre, les manifestations ne sont pas interdites.
— Préfet du Cher (@Prefet18) 11 janvier 2019