Un "rocher emporté par la mer" selon Jean-Luc Mélenchon, une "âme sœur" pleurée par Benoît Hamon. Mardi, la mort d’Henri Emmanuelli à 71 ans a touché les deux candidats à la présidentielle, liés au Pyréenen de naissance : le premier a fondé avec lui Nouveau Monde, un des courants du PS, en 2002. Et Henri Emmanuelli a créé avec le second Un Monde d’Avance en 2008, une autre mouvance de la gauche du parti. Il le soutenait à la primaire de la gauche, en janvier.
Socialiste historique. Quel autre éléphant que lui pour incarner la gauche du parti, des années 1990 au tournant des années 2010 ? Congrès après congrès, le Landais a ferraillé contre la conversion du Parti socialiste à la sociale-démocratie. Un combat symbolisé par la primaire socialiste en vue de la présidentielle de 1995, perdue au profit de Lionel Jospin. Mais dans ce parcours, il est une victoire de taille : le succès du "non" au Traité sur une Constitution européenne, en 2005. Le PS avait tranché en faveur du "oui", quelques mois avant le référendum, par une large majorité de près de 60%. Lui avait milité pour le "non" et fait activement campagne pour ce camp, contrairement à ses camarades du NPS, eux aussi favorables au "non", mais refusant de braver la position de Solférino. Après avoir été allié de Jean-Luc Mélenchon avec Nouveau Monde, il se rapproche de Benoît Hamon en créant avec lui Un Monde d’Avance en 2008, courant qui permet au futur candidat PS à l’élection présidentielle de s’installer dans les arcanes du parti.
Rothschild avant Mitterrand. Ses convictions, Henri Emmanuelli les portait de sa voix rocailleuse à l’accent chantant depuis son entrée au PS à la naissance de celui-ci, lors du congrès d’Épinay, en 1971. En parallèle, il est alors… banquier, chez Rothschild, comme Emmanuel Macron le sera à sa sortie de l’Ena de 2008 à 2012. Sauf que le candidat à la présidentielle s’assume libéral, ce qui n’était pas le cas d’Henri Emmanuelli. Qui trouvait pourtant cette double casquette de socialiste et banquier facile à porter : "J’étais très bien. On ne m’embêtait pas, j’étais dans une banque où on me laissait faire ce que je voulais", se rappelle-t-il sur France 2, aux début des années 2000, citant les rendez-vous entre socialistes qu’il organisait au siège parisien de la banque. L’homme gravit les échelons de l’institution financière en parallèle de son militantisme, jusqu’à devenir directeur adjoint de Rothschild en 1975. Candidat battu aux élections législatives de 1973, il quitte la banque après sa victoire dans la 3ème circonscription des Landes en 1978.
Sa carrière politique est lancée, sous les meilleurs auspices : il s’est lié d’amitié avec François Mitterrand pendant ses années Rothschild. Quand l’auteur du Coup d’État permanent s’installe à l’Élysée en mai 1981, il nomme Henri Emmanuelli à l’Outre-Mer puis au Budget, en 1983. Encore un paradoxe après Rothschild : ce pourfendeur du libéralisme se retrouve à défendre le tournant de la rigueur, pour beaucoup l’acte de trahison du président Mitterrand à ses promesses de “changer la vie” par le socialisme.
Le fief des Landes. Henri Emmanuelli encaisse et continue son ascension au sein du PS. Il s’y fait même un ennemi en la personne de Laurent Fabius, son rival. "Les socialistes appartiennent au genre humain, ils en ont les capacités et les défauts", esquivait-il quand il lui était demandé si le manque de soutien des cadres de Solférino l’a peiné pendant l’affaire Urba. Une tâche sur le CV : président de l’Assemblée nationale, il est inculpé en 1992 pour "recel et de complicité de trafic d'influence" dans une affaire de rétro-commissions chargées d’alimenter les caisses du parti, à l’époque où il en était le trésorier. Le verdict tombe en 1996 : 18 mois de prison avec sursis et 30.000 francs d’amende, accompagnés de deux ans de privation des droits civiques.
Dans l’ombre, Henri Emmanuelli se console avec ses mandats de député et de président du Conseil général des Landes, son fief, dont il était toujours le président du Conseil départemental. Après de longues batailles à la gauche du Parti socialiste, il s’y était plus ou moins réfugié, toujours actif (il devait présider des sessions du budget lundi et mardi), mais rongé par une neuropathie. Il avait refusé de se représenter aux législatives de juin prochain, lui qui ne quittait jamais sa mine bougonne et animait l’hémicycle de sorties restées célèbres, comme ce doigt d’honneur lancé au Premier ministre François Fillon, en 2011.
Mardi, tout le parti a rendu hommage à l’un des créateurs du PS, en 1971. "Il pouvait être féroce dans le débat mais d’une grande élégance dans la vie. Il avait l’âme socialiste chevillée au corps et était toujours très respectueux des autres", écrit le Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis. Pour François Hollande, c’est un "homme droit" et une "belle figure morale" qui s’éteint.