La passation de pouvoir entre François Hollande et Emmanuel Macron, dans quelques jours à l’Elysée, ne manquera pas de symboles. Outre le passage de relais forcément solennel entre deux présidents de la République, elle marquera une étape sans doute cruciale dans la relation entre deux hommes. Car le futur ex-chef de l’Etat a longtemps entretenu avec son successeur, élu le 7 mai pour lui succéder, un rapport presque paternel, émaillé de vexations. Rapport qui, ces derniers mois, s’est dégradé avec l’apparition de l’ambition de son poulain.
Les cérémonies du 8 mai, auquel l’actuel président de la République avait invité son successeur, a en tout cas montré qu’une certaine complicité demeure entre les deux hommes. Très bienveillant avec son ancien protégé, François Hollande, presque paternel, a semblé lui montrer la marche à suivre pour endosser l’habit présidentiel.
Les débuts : Jouyet et Attali font les présentations
Au départ, le mentor d’Emmanuel Macron, ce n’est pas François Hollande, mais Jean-Pierre Jouyet. Cet ami intime de l’actuel chef de l’Etat, qui le fera secrétaire général à l’Elysée, remarque ce jeune homme tout frais sorti en 2004 de l’ENA, alors qu’il dirige l’Inspection générale des Finances. Il en fait son protégé. Deux ans plus tard, c’est à son domicile qu’Emmanuel rencontre pour la première fois François Hollande. Les deux hommes s’entendent immédiatement, mais, selon Libération, ils ne se revoient qu’épisodiquement lors des deux années qui suivent.
Il faut l’entregent d’un autre proche du pouvoir, Jacques Attali, pour que le rapprochement se fasse plus concret. En 2008, alors que le jeune Macron travaille au sein de la Commission pour la libération de la croissance française (dite "Commission Attali"), et qu’il s’y fait remarquer, l’ancien conseiller de François Mitterrand organise un dîner à trois au Bristol. A la table du palace parisien, une nouvelle fois, ça matche. Emmanuel Macron fait pour la première fois part d’ambitions politiques. Il réclame une implantation locale, en Picardie ou dans le Nord-Pas-de-Calais. François Hollande promet de l’aider, mais il n’est déjà plus que l’ombre du premier secrétaire du PS qu’il s’apprête à ne plus être. Rue de Solférino, le refus est net.
Première vexation pour Emmanuel Macron, qui quitte la haute fonction publique pour le privé. A partir de septembre 2008, le jeune énarque occupe à la banque Rothschild et Cie un emploi de banquier d’affaires qui lui colle encore à la peau aujourd’hui. Il gagne alors très bien sa vie. Il n’hésite pourtant pas, quatre ans plus tard, après avoir été nommé associé, à retourner dans les cercles du pouvoir.
Des retrouvailles grâce à Jouyet
Dès 2010, encore grâce à Jean-Pierre Jouyet, Emmanuel Macron et Hollande se retrouvent et, selon Libération, ils se voient régulièrement. Et l’année suivante, le jeune banquier d’affaires fait partie de l’équipe chargée de préparer autour du candidat Hollande la primaire socialiste. Et point d’opportunisme : Emmanuel Macron a fait son choix avant l’affaire DSK, quand le futur président de la République était encore à la peine dans les sondages. François Hollande lui en conservera une grande reconnaissance.
" Emmanuel, c'est le fils qu'on voudrait avoir "
Et après la victoire de François Hollande, Emmanuel Macron devient un membre actif de l’équipe de campagne du candidat désigné. "Déjà, pendant la campagne, il n’y avait pas un iota entre ce que pensaient Hollande et Macron. "Ils étaient très proches.", assure Aquilino Morelle, ex-conseiller à l’Elysée, dans Le Monde. C’est donc fort logiquement qu’après sa victoire, le tout nouveau président de la République nomme Emmanuel Macron à ses côtés. A 34 ans seulement, voilà le désormais ex-banquier d’affaires secrétaire général de l’Elysée. Et sans doute le conseiller présidentiel le plus influent. "Emmanuel, c’est le fils qu’on voudrait avoir", confie-t-il à son conseiller en communication Gaspard Gantzer, toujours selon Le Monde.
La blessure intime de Macron
Les deux hommes sont alors plus proches que jamais. Mais en avril 2014, Emmanuel Macron subit une blessure intime qui écornera très sérieusement sa loyauté. Alors qu’il vient de perdre sa grand-mère, à laquelle il était très attaché, le jeune conseiller se heurte à la froideur du chef de l’Etat. "Moi aussi j'étais triste quand j'ai perdu la mienne", se contente-t-il de lui glisser en guise de condoléances, selon Anne Fulda, auteur de la biographie Emmanuel Macron, un jeune homme si parfait. Puis, au retour des funérailles de son conseiller, le président de la République grince, ironique, rapporte Le Monde : "Ah tu es là, toi ? Je t’ai cherché!"
" Ça, je ne lui pardonnerai jamais… "
Emmanuel Macron est estomaqué de tant d’indifférence. Et durablement heurté. "C'est fini avec Hollande", affirme-t-il à ses proches selon Anne Fulda. "La manière dont (il) a réagi en apprenant la mort de ma grand-mère, je n'aimerais pas avoir la même !", insiste-t-il. Selon Le Monde, il glisse même à Aquilino Morelle : "Ça, je ne lui pardonnerai jamais…" Les deux hommes continuent à travailler pendant un an, mais du côté d’Emmanuel Macron, quelque chose s’est brisé. Et la plaie s’ouvre à nouveau quand, lors du remaniement de mars 2014, il n’hérite ni du poste de secrétaire général de l’Elysée, ni d’un ministère. Il prend alors à nouveau ses distances et quitte la vie publique. Très brièvement.
Un ministre indocile mais choyé
Car en août 2014, après l’entrée en sédition d’Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon, un nouveau remaniement place cette fois Emmanuel Macron au ministère de l’Economie, une annonce effectuée par un Jean-Pierre Jouyet tout sourire. L’ancien banquier et futur président de la République entre dans la lumière. Et d’entrée, il détonne par ses prises de positions iconoclastes, pas toujours dans la ligne gouvernementale. Mais jamais François Hollande ne lui en tient rigueur.
" Il est en train de t'échapper "
Le président de la République ne perçoit pas le danger. En public, Emmanuel Macron fait toujours œuvre de loyauté. Mais en privé, il organise sa montée en puissance. François Hollande le rabroue parfois, mais lui garde sa bienveillance. Car il a besoin de ce jeune ministre populaire en vue d’une éventuelle nouvelle candidature. "Il est en train de t’échapper", le prévient Julien Dray selon Le Monde. Mais le président n’écoute pas. Jusqu’à ce jour d’avril 2016, quand Emmanuel lance En Marche ! après avoir prévenu le chef de l’Etat à la va-vite, la rupture est inéluctable. Elle est effective en août, quand le ministre de l’Economie démissionne. "Il m’a trahi avec méthode", réagit un François Hollande enfin lucide.
La rupture avant les retrouvailles
Officiellement, les deux hommes ne se parlent plus, hormis une brève rencontre en février 2017 pour le dîner du Crif, jusqu’au soir du premier tour de l’élection présidentielle, quand François Hollande appelle Emmanuel Macron pour le féliciter. En réalité, ils restent en contact, au moins par textos interposés. Si le président en fin de mandat ne le dira jamais ouvertement, c’est bien pour son ancien conseiller qu’il penche. Il lui distille même quelques conseils, dont on ne sait pas si Emmanuel Macron les a suivis. Mais une chose est sûre, ils se rencontreront à nouveau. D'abord ce lundi, pour les commémorations du 8-Mai. Puis un nouveau rendez-vous se tiendra en fin de semaine, sur le perron de l’Elysée, pour l’investiture de l’un et la fin de mandat de l’autre. Reste à savoir dans quel état d’esprit sera François Hollande quand il sera raccompagné sur le perron de l’Elysée, voire jusqu’à sa voiture, par son ancien protégé. De cela, il ne dira sans doute rien. Du moins dans l’immédiat.