"C'est une forme de plébiscite, un raz-de-marée démocratique." Sur Europe 1 lundi, l'autonomiste Gilles Simeoni ne cache pas sa joie après le premier tour des élections territoriales corses, dimanche. Avec 45,36% des suffrages obtenus, la coalition que celui-ci a formée avec l'indépendantiste Jean-Guy Talamoni a écrasé toute concurrence. La droite régionaliste de Jean-Martin Mondoloni est reléguée loin derrière, avec 14,97% des voix. Valérie Bozzi, autre candidate de droite, ne peut faire mieux que 12,77% avec sa liste soutenue par LR. La liste LREM de Jean-Charles Orsucci est la dernière, avec 11,26% des suffrages, à se qualifier automatiquement pour le second tour. Le parti indépendantiste plus radical, U Rinnovu, la gauche (une alliance entre le PCF et des Insoumis dissidents) et le Front national sont au-dessous du seuil fatidique des 7%, et donc éliminés.
"La Corse n'est pas la Catalogne". Rien ne semble donc pouvoir arrêter le raz-de-marée nationaliste pour le second tour, dimanche prochain. Et, déjà, se pose la question des conséquences de cette victoire, alors que l'opposition n'a cessé, pendant la campagne, de marteler qu'elle serait une prémisse à une indépendance de la Corse. La séquence politique récente de la Catalogne alimente d'ailleurs le discours des opposants aux nationalistes, qui promettent une destinée similaire à l'île de Beauté.
""Entendu sur europe1 :La Corse n'est pas la Catalogne. C'est évident d'un point de vue économique comme politique
Pourtant, la probabilité de voir la Corse imposer demain un référendum sur son indépendance reste très mince, non seulement selon les spécialistes, mais aussi les nationalistes victorieux. "J'ai beaucoup de sympathie pour le peuple catalan, mais le modèle catalan n'est pas applicable", explique Gilles Simeoni. "La Corse n'est pas la Catalogne", nous confirme André Fazi, politologue et maître de conférences en science politique à l'Université de Corse. "C'est évident d'un point de vue économique comme politique."
Enrichir avant d'émanciper. Contrairement à la communauté autonome espagnole, l'île de Beauté est loin de représenter 20% du PIB national. "C'est un territoire qui s'est beaucoup développé ces 15 dernières années, mais ce développement économique repose essentiellement sur des secteurs comme la construction ou la grande distribution, et bien trop peu sur des emplois qualifiés", explique André Fazi. "La Corse dépend encore beaucoup de subventions de l'État."
Or, aucune indépendance n'est à l'ordre du jour si elle n'est pas matériellement possible. C'est ce qu'a confirmé l'indépendantiste Jean-Guy Talamoni sur France Inter lundi. "La Catalogne est une région prospère. Dans les dix ans qui viennent, l'enjeu sera d'enrichir la Corse matériellement." Un préalable à toute amorce de processus indépendantiste. Comme le résume l'historien corse Michel Vergé-Franceschi sur Europe 1, le parallèle entre la Catalogne et la Corse est donc "malheureux". "Tant qu'un territoire ne peut pas assurer sa défense et sa nourriture, l'indépendance n'est pas à l'ordre du jour."
Moins de prérogatives que la Catalogne. Politiquement non plus, la Corse n'est pas prête. "Elle n'a pas la culture étatique de la Catalogne", souligne André Fazi. Elle n'est pas non plus dans la même situation institutionnelle, a rappelé Jean-Guy Talamoni sur France Inter. "La Catalogne bénéficie d'un statut avec de larges pouvoirs depuis longtemps." Ce n'est pas le cas de l'île de Beauté qui, justement, tentera, en cas de la confirmation des nationalistes dimanche prochain, d'obtenir de plus larges prérogatives. "Elargir les pouvoirs normatifs réels de la Corse exigera une révision de la Constitution, ce qui n'est jamais facile", note André Fazi. En attendant, les nationalistes ont d'autres revendications, comme le statut des résidents (ils aimeraient qu'il ne soit possible d'acquérir un bien immobilier sur l'île qu'au bout de cinq ans de résidence) ou l'amnistie des prisonniers politiques.
"L'idée indépendantiste est minoritaire". La Corse n'étant pas aussi avancée institutionnellement sur la voie de l'autonomie que la Catalogne, sa population n'est, de fait, pas prête pour l'indépendance. C'est ce qu'admettent les indépendantistes eux-mêmes. "Actuellement, l'idée indépendantiste est minoritaire", a déclaré Jean-Guy Talamoni lundi sur France Inter. "Si nous votions dimanche prochain, il n'y aurait pas un vote majoritaire en faveur de l'indépendance." Preuve en est avec l'examen minutieux des résultats du premier tour des régionales de 2015 en Corse. À l'époque, les indépendantistes de Jean-Guy Talamoni n'avaient pas fait alliance avec les autonomistes de Gilles Simeoni. Et le second avait obtenu 2,5 fois plus de voix que le premier. "Simeoni est, de fait, plus représentatif aujourd'hui que Talamoni", observe André Fazi.
En faisant alliance avec Gilles Simeoni, Jean-Guy Talamoni a d'ailleurs "mis en veilleuse la notion de séparatisme", pointe l'historien Michel Vergé-Fanceschi. "Nous avons un accord de mandature avec nos partenaires autonomistes pour dix ans. Il n'y aura [donc] pas, pendant ces dix ans, de procédure d'indépendance", a martelé l'indépendantiste sur France Inter.
" Nous avons un accord de mandature avec nos partenaires autonomistes pour dix ans. Il n'y aura [donc] pas, pendant ces dix ans, de procédure d'indépendance. "
La Catalogne, un cas exceptionnel. Tout l'inverse des partis indépendantistes catalans qui, eux, "avaient inscrit ce processus d'indépendance dans leur programme il y a deux ans", rappelle André Fazi. Pour le politologue, en réalité, "on sous-estime l'exceptionnalité du cas catalan". "Les indépendantistes catalans, du fait aussi de mécanismes de surenchère internes, se sont lancés dans l'organisation d'un référendum alors même que, de leur propre aveu, ils n'avaient pas un soutien populaire massif. Environ 45% des catalans sont indépendantistes. C'est donc un cas très spécial" difficilement transposable à la Corse.
Une question de priorité. Pour entrevoir un référendum sur l'indépendance, il faudra donc attendre au moins une dizaine d'années. Le temps pour les indépendantistes corses de soigner la forme et de s'assurer du soutien populaire pour, précisément, ne pas revivre un scénario à la catalane. "Il n'y aura pas d'indépendance si les Corses ne le veulent pas majoritairement", a assuré Jean-Guy Talamoni. Si lui espère ouvertement que la population finira par y venir, les résultats du premier tour ne suggèrent pas, contrairement aux apparences, que ce soit leur priorité. "La campagne s'est précisément concentrée sur les questions institutionnelles plutôt qu'économiques", explique André Fazi. "C'est ce qui explique, selon moi, le bond de l'abstention." Dimanche, près d'un électeur corse sur deux n'a pas pris la peine d'aller aux urnes.