Interdiction de manifester : une volte-face qui fait tache

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© DOMINIQUE FAGET / AFP
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Margaux Baralon , modifié à
Quelques heures après l'avoir interdite, le gouvernement a finalement autorisé, mercredi, la manifestation parisienne du 23 juin contre la loi Travail. Un revirement politiquement coûteux.

C'est quasiment devenu un classique du quinquennat de François Hollande : la reculade de dernière minute. De l'affaire Leonarda à l'imbroglio autour de la déchéance de nationalité, l'exécutif est désormais un habitué des interminables séquences politiques qui débutent par des démonstrations de fermeté avant de se clore sur des abandons ou des semi-décisions, en général dans la plus grande confusion. L'interdiction de manifester en est le dernier exemple, pointé du doigt par l'ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy, François Fillon, sur Twitter.

Acte 1 : Tenir

Mercredi matin, le gouvernement assume la fermeté et met sa menace à exécution. Dans un communiqué, la préfecture de police interdit la manifestation parisienne contre la loi Travail, organisée par sept syndicats et prévue le lendemain. Et souligne au passage qu'elle n'a "pas d'autre choix" que de prendre cette décision, les organisateurs ayant refusé de faire un rassemblement statique, comme cela leur avait été proposé par les autorités.

Comme pour minimiser la portée politique de cette interdiction, très symbolique de la part d'un gouvernement socialiste, l'exécutif pointe une décision purement technique. L'entourage de François Hollande indique ainsi mercredi matin qu'il s'agit d'une "décision de gestion opérationnelle de l'ordre public", et non d'un "arbitrage" du chef de l'État.

À l'issue du conseil des ministres, vers midi, le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, tente également de justifier l'interdiction. "Tant que les conditions ne sont pas réunies –conditions de sécurité, de protection des biens et des personnes-, c'est vrai que l'autorisation n'est pas donnée", déclare-t-il en citant le chef de l'État. Plus tard dans la matinée, le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, expliquera que c'est lui qui a "personnellement" demandé à la préfecture de police d'interdire le défilé parisien.

Acte 2 : Céder

Comment est-on passé de cette inflexibilité à une reculade, moins d'une heure plus tard ? Peut-être faut-il chercher du côté du feu nourri de critiques qui s'est abattu sur le gouvernement. L'interdiction de manifester a suscité un tollé dans les rangs de la gauche de la gauche et des organisations syndicales. Une levée de boucliers prévisible, à laquelle se sont ajoutées les remontrances venues du PS lui-même. Le gouvernement a réussi à s'aliéner les frondeurs, mais aussi des socialistes plus loyalistes, voire fervents partisans de la loi Travail. C'est le cas de Valérie Rabault, élue comptant parmi les plus loyaux au gouvernement (elle a voté plus de 90% des textes proposés par l'exécutif), qui a jugé sur Twitter qu'il n'était "pas acceptable en démocratie" d'interdire une manifestation.

Christophe Sirugue, député de Saône-et-Loire et rapporteur du projet de loi Travail, dont il avait défendu la dernière version contre vents et marées, a indiqué sur Facebook qu'il "ne pouvait cautionner" une interdiction de défiler. Richard Ferrand, qui avait souligné les "avancées" du projet de loi il y a quelques mois, a également regretté cette décision, arguant que cela risquait de "renforcer la confrontation".

En outre, avant la fin du Conseil des ministres, le ministère de l'Intérieur a rencontré les syndicats organisateurs du défilé en urgence dans la matinée. Pendant  45 minutes, Bernard Cazeneuve et les secrétaires généraux de la CGT, Philippe Martinez, et de FO, Jean-Claude Mailly, ont tenté de trouvé un compromis. Peu avant 13 heures, les leaders syndicaux peuvent crier "victoire" en conférence de presse : la manifestation aura bien lieu, "sur un parcours proposé par le ministre de l'Intérieur". Parcours de moins de deux kilomètres, qui forme une boucle de la place de la Bastille au même point en passant par le bassin de l'Arsenal.

Acte 3 : Constater l'étendue des dégâts

En première ligne pour justifier ce revirement, Bernard Cazeneuve a mis en avant le dialogue et le compromis avec les syndicats. Il a d'ailleurs été unanimement salué à gauche pour son sens de la négociation. Mais il est difficilement compréhensible, alors que les tractations vont bon train depuis deux jours entre les organisations syndicales et la préfecture pour trouver un terrain d'entente, que cela aboutisse sur cet imbroglio la veille même de la manifestation.

Cette séquence brouille une fois encore le message gouvernemental. "En politique, plus encore qu'ailleurs, la règle d'or c'est que vous dites ou vous ne dites pas, mais si vous dites, vous faites. Sinon, vous perdez votre crédit, ou n'en retrouvez pas si vous l'avez déjà perdu", résume le politologue Olivier Duhamel. L'opposition n'a d'ailleurs pas manqué de s'emparer de cette cacophonie pour montrer que l'exécutif navigue à vue. "C'est une roue de la fortune, on ne sait pas sur quoi on va s'arrêter", a soupiré Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate à la primaire de la droite, sur iTélé. D'abord borné, l'exécutif a ensuite semblé faible. Comme souvent lorsqu'il a tenté des compromis alors qu'il était dos au mur (affaire Leonarda, déchéance de nationalité), le gouvernement prend le risque de ne satisfaire personne après avoir mécontenté tout le monde.

Les Républicains qui avaient appelé à interdire la manifestation possèdent un argument supplémentaire pour faire valoir le manque d'autorité de l'exécutif. "C'est l'état d'urgence élastique", a pesté Thierry Mariani, député LR. "On gonfle les muscles, puis on les dégonfle." Quant à Nicolas Sarkozy, qui avait pris le contre-pied de sa famille politique en se prononçant mardi contre une interdiction de manifester, la décision finale du gouvernement ne peut que le conforter. Mais pour Olivier Duhamel, c'est surtout l'extrême droite qui va tirer son épingle du jeu. "Une telle séquence profite à ceux qui dénigrent la politique et le supposé système."