C’est un indicateur parmi d’autres de la crise du logement en France. La trêve hivernale touche à sa fin ce vendredi soir et comme chaque année, elle devrait s’accompagner de quelques milliers d’expulsions locatives. En 2015, 168.775 procédures judiciaires ont été intentées et environ 127.000 ont abouti à une décision d'expulsion, soit un boom de 24% par rapport à l’année d’avant, selon le dernier bilan annuel de la Fondation Abbé Pierre.
Face à la crise du logement, la plupart des candidats avancent des solutions attendues (le détail de leurs propositions sur le sujet ici) : construction de davantage de logements sociaux et fort investissement de l'Etat à gauche, développement du parc privé pour faire baisser les loyers à droite. Mais parmi les propositions, il y en a notamment une qui se démarque par sa singularité : la création d’un "bail mobilité" de location dans les zones tendues, avancée par Emmanuel Macron. En résumé, il s’agit de donner de nouveaux droits aux locataires les plus précaires... tout en leur enlevant d’autres droits afin de pousser les propriétaires à accepter leur dossier. Une étape de plus dans la marche du candidat vers la "vraie révolution de la flexisécurité", qu’il appelle de ses vœux.
La proposition du candidat : moins de garanties, moins de droits
La mesure s’appliquerait uniquement dans les zones "tendues"¸ où le logement se fait le plus rare et les loyers les plus chers. "Dans le parc privé, je souhaite qu'on puisse expérimenter un 'bail mobilité' qui soit réservé aux publics les plus en difficulté (...) celles et ceux dont on sait aujourd'hui qu'ils ont énormément de mal à accéder au logement", avait déclaré le fondateur du mouvement En Marche!, en novembre, lors d'une conférence organisée par le réseau d'agences immobilières Orpi.
" On ne peut pas se retrouver dans la situation ubuesque d’aujourd’hui "
Le bail pourrait être signé par un locataire en CDD, en interim, en formation, en contrat saisonnier ou à un salarié en mutation professionnelle dans une zone tendue. Concrètement, le propriétaire ne pourra plus demander de garanties ni exiger de caution. En contrepartie, le locataire et le propriétaire fixeront à l’avance une durée comprise entre trois mois et un an, à l’issue de laquelle le propriétaire pourra exiger des locataires qu'ils s'en aillent. Aujourd’hui, le bail doit être fixé pour une durée minimum de trois ans, pendant lesquels le propriétaire ne peut pas exclure le locataire sans passer par une procédure judiciaire, même s’il ne paye pas le loyer.
Ce nouveau bail s’accompagnerait, dixit le candidat, de "droits plus restreints pour le locataire", qui pourra moins facilement contester son expulsion. Une moindre protection censée inciter davantage les propriétaires à louer leur logement aux plus précaires. "On ne peut pas se retrouver dans la situation ubuesque d’aujourd’hui, où des publics restent complètement en dehors du marché locatif et où on a des biens qui de manière croissante sortent du marché locatif vers des marchés type AirBnB", avait défendu l’ancien ministre en novembre dernier.
Un exemple de plus de la "flexisécurité" façon Macron
L’ensemble du programme d’Emmanuel Macron est traversé par cette idée de "flexisécurité", un concept très en vogue dans les pays scandinaves. Concrètement, il s’agit de donner plus de droits d’un côté, pour en enlever d’un autre, afin de fluidifier une activité.
D’un côté, le candidat propose ainsi d’ouvrir le droit aux allocations chômage aux indépendants et aux salariés qui démissionnent, de l’autre, il prône un contrôle accru de la recherche d’emploi, la suspension des allocations chômage en cas de deux refus d’offres d’emploi et la limitation des indemnités prud’homales. Le but étant, donc, de fluidifier le marché de l’emploi : en permettant à un salarié de toucher une indemnisation en démissionnant, le pari est de libérer de l’emploi tout en permettant au démissionnaire de mettre en place un projet personnel sur du long terme.
" Qui voudra se spécialiser dans le locataire à statut précaire ? "
Dans la même ligne, Emmnuel Macron propose d’un côté la taxation des contrats courts, de l’autre, un allègement pérenne des charges des entreprises. Le but étant, là encore, de donner de l’air aux entreprises tout en les incitants à privilégier les CDI. Concernant la durée du temps de travail, enfin, le candidat milite d'un côté pour que les seniors travaillent moins longtemps, de l’autre, il préconise la possibilité pour les jeunes de pouvoir travailler plus de 35 heures par semaine.
Le principe peut-il fonctionner pour le logement ?
Pourquoi ne pas choisir entre sécurité et flexibilité ? Dans une interview au Parisien en date du 2 mars, le candidat d’En Marche! expliquait en ces termes son refus d’opter plus pour l’un ou l’autre : "La seule chose qui compte, c'est l'efficacité. Il y a simplement des programmes qui marchent et d'autres qui ne marchent pas". Concernant le logement, sa logique est la même : son objectif est de "lever les obstacles qui aujourd’hui freinent l’accès au logement et la mobilité, en particulier des jeunes, des familles qui se recomposent ou des personnes qui cherchent ou qui changent d’emploi".
Reste une question : la flexisécurité – qui fait déjà polémique dans les autres secteurs- peut-elle vraiment s’appliquer à l’immobilier ? Certains en doute. "Que se passera-t-il au bout d’un an ? Qui voudra se spécialiser dans le locataire à statut précaire ? Pourquoi vouloir toujours traiter la demande et non l’offre ?", s’interroge l’économiste Philippe Crevel, dans une interview à Atlantico, dénonçant une "usine à gaz".
D’autres, en revanche, voient dans ce "bail mobilité" une "mesure pragmatique et moderne". "En limitant le dispositif aux zones tendues et aux contrats précaires, on évite de fragiliser l’ensemble des locataires. Dans le même temps, on répond à un manque de statut que comblaient aujourd’hui des plateformes comme AirBnB, tout en prenant en compte une population exclue de tout, y compris de l’accès au crédit", décrypte pour Europe 1 Henry Buzy-Cazaux, président de l’Institut du management des services immobiliers. "De nombreux propriétaires ont besoin de louer pour des périodes courtes, avant la vente de leur bien ou lorsqu’ils sont mutés pour un petite période par exemple", poursuit-il.
Selon ce spécialiste, toutefois, le candidat doit encore préciser les contours de sa mesure pour la rendre applicable, et surtout s’assurer qu’un nombre significatifs de propriétaires accepte de louer avec ce type de baux. "Cela doit peut-être s’accompagner d’une forme de garantie de l’Etat pour rassurer le propriétaire. Et il est surtout impératif de s’appuyer sur un réseau de professionnels de l’immobilier", conclut Henry Buzy-Cazaux.