Les élus du Palais du Luxembourg s'apprêtent à voter le projet de loi anti-casseurs, tel qu'il a été écrit par l'Assemblée nationale. De quoi entraver les plans de l'exécutif, qui espérait faire amender ce texte en seconde lecture.
La proposition de loi anti-casseurs, adoptée le 5 février par l'Assemblée nationale, revient le 12 mars au Sénat. Les élus du Palais bourbon s'apprêtent à voter le même texte que les députés, officiellement pour accélérer sa mise en application, officieusement pour semer les troubles entre l'exécutif et sa majorité. Explications.
Gagner du temps. Pour bien comprendre tout le raffinement subtil de ce moment politique, il faut remonter quelques épisodes en arrière. Rappelez-vous, c’était début Janvier, l’"acte 8" des Gilets jaunes avait donné lieu à de nouvelles violences dont une spectaculaire agression contre des policiers par l'ex-boxeur Christophe Dettinger. Les images de la scène avaient mis sous pression le gouvernement. Et pour aller vite, Edouard Philippe avait annoncé que l’Assemblée nationale allait en urgence se saisir d’un texte de loi anti-casseurs qui avait déjà été voté par le Sénat.
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Pour l'exécutif, repêcher ce texte est une manière de gagner du temps dans la navette parlementaire, c'est-à-dire dans les allers et retours entre les deux assemblées. Sauf que, cette loi du Sénat a été initiée et votée par l’opposition à Macron, c’est-à-dire par les Républicains, qui sont majoritaires dans la chambre haute.
La colère des députés En Marche. Il s'agit à l'origine d'un projet de Bruno Retailleau, le patron des sénateurs LR, ce qui a suscité beaucoup d’émotion chez les marcheurs. "Loi liberticide", "politique répressive", les grands mots se mettent à voler bas, et ça tangue pas mal au cœur de la majorité d’Emmanuel Macron. Finalement, après de longs débats, le texte a été un peu assoupli, et voté à son tour début février. Mais mal. Il manquait les voix de 66 députés marcheurs : 50 qui s’était bruyamment abstenus, et 16 qui devaient avoir piscine ce jour-là.
Le piège des sénateurs. Le texte revient désormais au Sénat. Le calcul du gouvernement était simple : le palais du Luxembourg, qui s’enivre en ce moment de son pouvoir avec l’affaire Benalla, ne pourra pas résister à l’envie de rétablir son texte d’origine. Lequel texte doit encore retourner une dernière fois à l’Assemblée nationale, puisque c’est la règle. À ce moment, le gouvernement pourra l'amender et calmer la fronde de ses députés. Eh bien non : raté. La droite sénatoriale a décidé de voter le texte sans en changer une seule virgule, dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale. Ce faisant, la navette parlementaire disparaît et la loi se voit officiellement adoptée.
Désormais, le gouvernement ne peut plus rattraper le coup avec ses députés abstentionnistes et ses frondeurs. Ainsi se referme le piège tendu par les sénateurs de droite, sur une fêlure politique qui restera au sein d’En Marche. Au passage, le Sénat se donne le beau rôle en expliquant que sa priorité est que la loi anti-casseurs soit vite applicable. Il se paye même le luxe de tordre un peu le nez en disant que l’Assemblée nationale y a été un peu fort dans le genre répressif sur un article ou deux. Du grand art.