Les houleux débats autour de la réforme du travail n'épargnent pas l'extrême droite. Au Front national aussi, les avis divergent sur le projet de loi porté par Myriam El Khomri, dont une version revue et corrigée est attendue lundi. Officiellement, le parti rejette le texte en bloc. Mais des voix dissonantes reconnaissent quelques bonnes idées et ne renient pas l'orientation libérale du projet de loi.
"Un vrai recul" pour Marine Le Pen. Marine Le Pen a été très claire et très sévère sur la loi El Khomri. Le 26 février dernier, la présidente du Front national organisait un tchat sur sa page Facebook devant 20.000 internautes. Elle en a profité pour épingler la réforme, qui marque, selon elle, "un vrai recul". "C'est la loi sur la dérégulation du travail", a déclaré la responsable frontiste. Florian Philippot était sur la même longueur d'onde, dimanche sur Europe 1. Invité du Grand Rendez-Vous, le vice-président du Front national a regretté une "précarisation générale de la société".
Cibler l'Union européenne. Concrètement, le Front national reproche au texte de favoriser les grandes entreprises par rapport aux petites et moyennes structures. Le parti, qui se veut proche des salariés modestes, estime également que la protection de ces derniers ne sera plus assurée. Enfin, ce projet de loi permet à l'extrême droite d'attaquer sa bête noire : l'Union européenne. Celle-ci se montre en effet régulièrement critique sur la complexité du droit du travail français. "Il suffit de se plonger dans les innombrables textes de la Commission européenne pour comprendre que la loi El Khomri n'est que le nom donné à une exigence" de Bruxelles, a estimé, mercredi, Marine Le Pen dans un communiqué.
Une partie des frontistes favorable à des évolutions. Mais l'approche est différente chez d'autres responsables frontistes. Interrogée mercredi sur France Inter, Marion Maréchal-Le Pen a porté la voix de tous ceux qui, au Front national, sont favorables à des évolutions du code du Travail. "La réforme du droit du travail est une partie de la solution" à la hausse du chômage, a souligné la députée du Vaucluse. "Je trouverais dommage de passer à côté de l'opportunité de prendre des mesures qui puissent aller dans le sens des aspirations des entreprises."
" Ce sont exactement les mêmes mots qu'un cégétiste il y a vingt ans. "
Philippot le "cégétiste". Marion Maréchal-Le Pen est certes critique avec la loi El Khomri, estimant que celle-ci apporte de "mauvaises réponses" à de "bonnes questions" et manque d'envergure. Mais la députée reconnaît également qu'"il y a un problème de flexibilité sur le temps du travail" en France, quand l'un des objectifs principaux du texte est précisément de remédier à ce problème. De son côté, Robert Ménard, maire de Béziers soutenu par le parti frontiste même s'il n'est pas encarté, est allé beaucoup plus loin dans les colonnes du Figaro jeudi. Selon lui, Florian Philippot emploie, au sujet de la réforme du travail, "exactement les mêmes mots qu'un cégétiste il y a vingt ans. C'est un vocabulaire d'un autre temps sur une réalité des entreprises infiniment plus complexe".
Lignes de fracture. Les divergences de point de vue sur la loi El Khomri ne font que souligner un peu plus les divisions des frontistes sur les questions économiques au sens large. Longtemps libéral lorsqu'il était tenu par Jean-Marie Le Pen, qui n'hésitait pas à se réclamer de Margaret Thatcher ou Ronald Reagan, le Front national a pris un virage avec Marine Le Pen et Florian Philippot. La tête du parti prône aujourd'hui un Etat fort et quelques mesures sociales pour attirer un électorat modeste particulièrement réceptif en temps de crise. Mais d'autres responsables frontistes, dans le sillage de Robert Ménard ou Louis Aliot, voire Marion Maréchal-Le Pen sur certains sujets, réclament des inflexions libérales et sont bien décidés à se faire entendre. Plusieurs amendements que le Front national s'apprête à déposer sur la loi El Khomri, comme la défiscalisation des heures supplémentaires ou le lissage des effets de seuil, en témoignent.