Chaque semaine, Europe1.fr vous propose un regard décalé sur l'actualité politique de la semaine, dans l'objectif d'un photographe de l'AFP.
Mercredi, 15 heures. Toutes les rédactions de France sont en ébullition au moment où Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée, prononce le nom des 22 membres du gouvernement d’Edouard Philippe. Lequel a passé les dernières heures à en déterminer les moindres contours avec le président, Emmanuel Macron. Alors qu'il était à Matignon pour réaliser des portraits du Premier ministre, Joël Saget, photographe à l'AFP, a pu capter l'instant où, au même moment, il regardait les noms de ses ministres défiler en direct à la télévision.
- Choisir le lieu
On avait demandé un rendez-vous pour un portrait du Premier ministre Edouard Philippe et la réponse est tombée rapidement : nous aurons un quart d’heure vers 15 heures, mercredi, à Matignon. On s’attendait d’ailleurs à ce que cette entrevue soit décalée ou annulée, sachant que le gouvernement a été annoncé à cette heure-là. Mais non, la courte séance a été maintenue. Je suis donc arrivé là-bas, où j’ai retrouvé un confrère de Reuters. Un conseiller est ensuite venu nous chercher pour nous emmener dans son bureau. Là, j’ai vu dans un coin que la télé était allumée, avec les noms des ministres qui tombaient. J’ai glissé au conseiller : "on peut la laisser allumée ? Ce serait dommage de l’éteindre…" Il a accepté.
- Décrire une ambiance
Edouard Philippe est entré dans son bureau et nous a salué. Comme lui, je suis normand et j’ai essayé de jouer là-dessus : "est-ce que vous pouvez regarder la télé ?" Il s’est rapproché de l’écran et a commencé à la regarder, près des canapés. Mais sur le quart d’heure que nous avions demandé, le conseiller ne nous a accordé que la moitié pour réaliser tous les clichés. Il était 15h32 et je n’avais que deux petites minutes pour faire cette photo, car nous allions ensuite prendre des clichés de lui au balcon et près de son bureau.
" J’ai glissé au conseiller : "on peut laisser la télé allumée ? "
Goulard, Ferrand, Le Drian, Hulot… Evidemment, il connaissait déjà le nom de ses ministres, il ne découvrait rien. Mais le Premier ministre paraissait très tendu, stressé, comme un boxeur sur le ring. Je ne l’imaginais d’ailleurs pas s’asseoir confortablement sur les canapés blancs que l’on voit sur la photo. Mais il avait vraiment du mal à rester statique, on sent quelqu'un d'hyper concentré, pas surpris. Pour moi, c’est un homme qui a un trop-plein d’énergie. Comme un lion en cage.
- Réfléchir au cadrage
J’étais déjà venu faire des portraits de Manuel Valls il y a plusieurs mois et je m’étais rendu compte que la lumière est compliquée à gérer dans ce bureau, avec de grandes fenêtres. En tout cas, je ne voulais pas le faire au flash et j’ai apporté une lumière artificielle, placée en hauteur, pour un meilleur éclairage. C’est d’ailleurs pour cela que l’on peut voir l’ombre plongeante de sa silhouette sur le mur en face de moi, alors que je ne l’avais pas amenée pour ce cadre-là.
" Cette photo donne l’impression d’être au coeur des coulisses du pouvoir "
Là, on se retrouve dans un moment où l'on réagit de manière instinctive, contrairement aux autres portraits politiques. Au fond, je n’ai pas vraiment réfléchi au cadrage, mais quand j’y pense, n’importe quel photographe aurait sorti la même image. Quand je l’ai photographié, je n’ai pas non plus pensé au cliché pris par la dessinatrice Louison avec François Hollande, le soir du premier tour.
Vivre l'Histoire. #premiertour#cherfrançois#embeddedpic.twitter.com/lAgzn613dw
— Louison (@Louison_A) 23 avril 2017
- Donner du sens à une image
Cette photo donne l’impression d’être au coeur des coulisses du pouvoir. C’est juste le fantasme que l'on peut avoir quand on imagine une telle rencontre : on se retrouve avec un timing presque idéal, la télé allumée, il va y jeter un coup d’oeil. On a peut-être plus de chances de gagner au loto et nous, les photographes, sommes tributaires d’un instant qui nous offre des potentialités hyper sympathiques. Va-t-il réussir son mandat ? A la fin, au moment de partir, je lui ai dit "bon courage", ce à quoi il m’a répondu : "du courage, j’en ai, c’est de la chance qu’il me faudra."