Il est le troisième à avoir son entrevue et sa photo souvenir. Benoît Hamon, candidat socialiste à la présidentielle, a rejoint mardi François Fillon et Emmanuel Macron dans le cercle fermé des prétendants à l'Élysée qui ont pu rencontrer Angela Merkel. Si les déplacements à l'étranger sont monnaie courante lors d'une campagne, la route de Berlin, particulièrement fréquentée cette année, peut apporter beaucoup aux aspirants présidents. Mais leur coûter également par ailleurs.
Pour François Fillon, un appui sur l'économie
La visite de François Fillon, en janvier dernier, tenait de l'évidence. Angela Merkel est en effet à la tête de la CDU, parti chrétien-démocrate allié aux Républicains. En 2012, la chancelière avait d'ailleurs publiquement soutenu Nicolas Sarkozy en accordant un entretien télévisé en duo avec le président français aux chaînes France 2 et ZDF. François Hollande, lui, n'avait eu une entrevue qu'après son élection.
En rencontrant Angela Merkel, François Fillon espérait donc un soutien aussi franc que celui obtenu par son prédécesseur. D'autant qu'économiquement, la chancelière et le candidat sont sur la même longueur d'onde. Elle qui veille à la bonne maîtrise des comptes publics ne peut qu'apprécier un candidat qui promet de réduire les dépenses, de repousser l'âge de départ à la retraite ou d'augmenter le temps de travail des fonctionnaires. Et si François Fillon avait, pendant la campagne de la primaire, assumé une augmentation du déficit pour financer une baisse drastique des impôts, il a depuis fait machine arrière pour ne pas exploser le plafond des 3% autorisés par les traités européens.
S'afficher avec la chancelière permettait aussi à François Fillon de rappeler ses objectifs de politique internationale. "Sans une entente forte entre nos deux pays, il n'y a pas d'Europe et s'il n'y a pas d'Europe, notre continent est ouvert à tous, les Américains, les Russes, les Chinois. Et moi, ce n'est pas du tout l'idée que je me fais de notre continent", avait-il déclaré en janvier. Sur une meilleure gouvernance de la zone euro, comme sur la politique de développement de l'Afrique, les deux dirigeants sont d'accord. Et un accord avec la dirigeante du plus puissant pays de l'Union européenne donne du crédit au programme de François Fillon.
" Sans une entente forte entre nos deux pays, il n'y a pas d'Europe. "
Reste qu'Angela Merkel n'a pas adoubé le vainqueur de la primaire de la droite. En janvier, elle ne pouvait le faire en raison d'au moins deux points de divergences importants. Le premier sur l'accueil des réfugiés. La politique d'ouverture prônée par la chancelière n'est absolument pas celle voulue par François Fillon. Pire, elle rebute totalement son électorat. En outre, la dirigeante allemande refuse catégoriquement de lever les sanctions à l'égard de la Russie, quand le candidat LR souhaite un rapprochement avec ce pays. Désormais, les affaires, largement relayées et commentées Outre-Rhin, sont venues s'ajouter à ces désaccords de fond.
Pour Emmanuel Macron, exalter son programme européiste
François Fillon aurait bien aimé pouvoir miser sur le caractère exceptionnel d'une entrevue avec Angela Merkel pour apparaître comme le candidat le plus crédible dès qu'il s'agit de discuter avec son partenaire européen. Cette ambition a été sévèrement mise à mal par la décision de la chancelière de rencontrer aussi son rival, Emmanuel Macron, à la mi-mars. Pour le fondateur d'En Marche!, l'enjeu d'une visite à Berlin n'était pas tout à fait le même. Pour celui qui n'a jamais été élu nulle part, être reçu par un dirigeant étranger permettait évidemment de se tailler une stature présidentielle.
Au-delà de cette question de symbole, s'afficher avec la chancelière est une excellente opportunité pour un candidat qui se revendique pro-Union européenne, désireux de relancer la coopération franco-allemande. Angela Merkel avait d'ailleurs félicité Emmanuel Macron après leur entrevue : "Tu es en France le seul candidat présidentiel avec une vision claire pour l'Europe. L'Europe est l'objectif qui nous unit." Un bien beau compliment de la part d'une dirigeante politique qui en est souvent avare.
" [Emmanuel Macron] est en France le seul candidat présidentiel avec une vision claire pour l'Europe. "
Outre son européisme, le programme de l'ancien ministre de l'Economie a tout pour plaire Outre-Rhin. Le candidat promet –au moins en partie- les réformes du marché du travail que Berlin appelle de ses vœux, promet de respecter les engagements européens et de mener une politique en faveur de la croissance, l'innovation et l'éducation. Par ailleurs, Emmanuel Macron a pris position à plusieurs reprises pour la politique d'accueil des réfugiés d'Angela Merkel. Et apparaît, aux yeux de la chancelière, comme le plus à même de contenir une progression de Marine Le Pen, très inquiète à l'idée de sa possible arrivée au pouvoir.
Pour Benoît Hamon, prendre le contrepied de Mélenchon
Si les visites de François Fillon et Emmanuel Macron à Angela Merkel semblent logiques, du fait de proximités idéologiques évidentes, celle de Benoît Hamon paraît plus incongrue. Pourquoi le candidat socialiste, qui rêve d'un réorientation à gauche de l'Union européenne, irait rendre visite à celle qui a fini par incarner la politique austéritaire de la zone euro ? Certes, cela lui permet, comme pour Emmanuel Macron, d'endosser le costume de chef d'Etat à l'international.
Mais surtout, c'est précisément l'occasion de mettre ces désaccords sous les feux des projecteurs. Après son entrevue avec la chancelière, le candidat socialiste s'est félicité qu'elle n'ait pas "fermé la porte" à une discussion sur son projet de "démocratisation de la zone euro" et, notamment, la création d'un Parlement de la zone euro. Angela Merkel a bien entendu émis des "réserves", a prévenu Benoît Hamon, mais la discussion semble au moins enclenchée.
Ce faisant, le vainqueur de la primaire de la gauche se démarque de Jean-Luc Mélenchon, adversaire de taille qui grimpe dans les sondages tandis que lui reste à la peine. Alors que leurs programmes sont similaires sur de nombreux points, leur attitude vis-à-vis de l'Allemagne est différente. Benoît Hamon apparaît ouvert au dialogue tandis que le leader de la France Insoumise, lui, n'a pas de mots assez durs contre la chancelière et sa politique économique. "Personne n'a jamais tenu tête à madame Merkel", avait-il regretté sur BFM TV il y a dix jours, précisant qu'il comptait bien être le premier : "Il y a zéro chance de me faire céder en me faisant peur."
Si Benoît Hamon passe outre ses divergences avec Angela Merkel, c'est aussi parce qu'il n'y a pas que l'économie dans la vie. "On sait que nous [avons] des désaccords mais elle est aussi une dirigeante politique –nous l'avons saluée et nous allons continuer à le faire- qui a été exemplaire dans l'accueil des réfugiés", souligne ainsi Matthieu Hanotin, directeur de campagne du candidat socialiste, dans Libération. Sur la transition énergétique aussi, l'Allemagne peut avoir valeur de modèle pour le vainqueur de la primaire de la gauche, qui prône, comme l'avait fait Angela Merkel après la catastrophe de Fukushima, pour des investissements massifs dans les énergies renouvelables et une sortie du nucléaire.