Vendredi est une journée décisive pour l'Espagne. Le Premier ministre Mariano Rajoy a en effet demandé au Sénat, au nom de l'article 155 de la Constitution espagnole, de destituer le gouvernement catalan. Une décision qui aura pour conséquence de placer la Catalogne, autonome jusqu'alors, sous tutelle. Mais qui ne vient certainement pas mettre un terme à la crise qui oppose, depuis un mois, la région aux velléités indépendantistes à l'autorité de Madrid. Le Parlement catalan a en effet dans le même temps voté pour ouvrir un "processus constituant" devant mener à l'indépendance.
Vue de Paris, cette crise paraît à la fois très proche et très lointaine, tant la classe politique hexagonale ne semble pas vouloir s'emparer du sujet. Au gré de déclarations rares, les responsables politiques français tentent toujours de ménager la chèvre indépendantiste et le chou madrilène.
Discrétion élyséenne. C'était le cas au plus haut sommet de l'État jusqu'à vendredi. Si Emmanuel Macron a fini par assurer Mariano Rajoy de son "plein soutien", le président français s'était montré très prudent auparavant. Au début du mois, alors que la tenue du référendum sur l'indépendance était très perturbée et que des violences policières étaient constatées sur les manifestants indépendantistes, Emmanuel Macron avait soigneusement évité de prendre la parole sur la question. Seul un communiqué émanant de l'Élysée avait permis de connaître la position officielle de la France : le président n'a "qu'un seul interlocuteur, en la personne de Mariano Rajoy" et "une étroite coopération franco-espagnole" est "importante" pour réformer l'Europe. Pas un mot sur les violences policières, ni le fond de l'affaire.
Ensuite, Emmanuel Macron avait repris la parole, la semaine dernière, lors d'un sommet de l'Union européenne. Disant soutenir la position du gouvernement espagnol, lui et Angela Merkel ont répété l'importance de "l'unité" de l'Espagne. Le Premier ministre français, Edouard Philippe, est resté muet sur la question depuis le 3 octobre dernier, date à laquelle il a déploré des "images terribles" de violences en marge du référendum sur l'indépendance, tout en disant "faire confiance à Madrid".
Valls contre l'indépendance. Dans la majorité, rares sont les députés à se faire entendre sur la crise en Catalogne. Souvent simples commentateurs, à l'instar de Sylvain Maillard qui a estimé sur FranceInfo que "Carles Puigdemont a[vait] perdu la main" après son discours qui promettait l'indépendance sans la proclamer, ils émettent parfois d'étranges suggestions pour calmer les tensions. L'élue Marie Malbec a ainsi proposé de créer l'équivalent espagnol de La République en marche!.
Seul Manuel Valls, natif de Barcelone, a pris des positions très claires. "Il faut soutenir le gouvernement espagnol", a déclaré l'ancien Premier ministre mardi sur France 2, ajoutant que le référendum était "totalement illégal". "On ne peut pas mettre en cause l'intégrité d'un pays. Il faut être solidaire dans ce moment-là de l'Espagne qui est par ailleurs un pays ami, et l'une des premières économies de l'Union européenne."
" L'indépendance de la Catalogne n'est pas une démarche évidente à accepter parce qu'il y a des règles du jeu. "
La France Insoumise mal à l'aise. Dans l'opposition aussi, on a du mal à donner un avis tranché. La France Insoumise marche sur des œufs. D'un côté, elle ne peut que s'opposer aux méthodes violentes de Madrid. Et les responsables du mouvement n'hésitent pas à lier cette revendication indépendantiste aux politiques économico-sociales européennes, jugées trop austères. De l'autre, une personnalité comme Jean-Luc Mélenchon est très jacobine, attachée à l'État-nation. Sans compter que les velléités d'indépendance de la Catalogne s'accompagnent d'un refus de payer pour les autres régions plus pauvres de l'Espagne, ce qui va à l'encontre des principes de solidarité et de redistribution chers à la gauche.
Une fois n'est pas coutume, l'ancien candidat à la présidentielle fait donc montre d'une "pudeur de gazelle". L'indépendance de la Catalogne "n'est pas une démarche évidente à accepter parce qu'il y a des règles du jeu", a-t-il développé dans une vidéo sur sa chaîne YouTube au début du mois. "Ce que je vais dire n'a pas valeur ni d'approbation, ni bien sûr de condamnation". En bref, le leader de la France Insoumise veut que la France joue un rôle de "médiation". Même son de cloche du côté du député Adrien Quatennens, qui a dit sa "grande inquiétude" face à la crise catalane dans l'émission "Face aux chrétiens".
Le PS entre deux eaux. Au PS, on n'est pas beaucoup plus à l'aise et on adopte donc la stratégie la plus sûre : ne rien dire. Le parti s'est fendu d'un communiqué au début du mois pour affirmer que "le nationalisme du gouvernement catalan ne peut continuer d'avancer à marche forcée vers son autodétermination". Tout en estimant que "le gouvernement central madrilène du Parti populaire au pouvoir ne peut persister durablement sur une ligne d'intransigeance totale". Depuis, le PS persiste lui sur une ligne d'entre-deux absolue.
LR en retrait. Rien n'est plus simple à droite. Là encore, le parti a joué la carte du communiqué, pour critiquer un référendum "illégal et anticonstitutionnel". Prévisible, de la part d'une famille politique qui souhaite un État fort. Mais Philippe Juvin, eurodéputé et porte-parole des Républicains, a également précisé que Madrid avait eu "politiquement tort" de faire usage d'une "telle violence, inacceptable et totalement inadaptée". Laurent Wauquiez, probable futur président du parti, a simplement expliqué qu'il ne fallait pas interférer dans "les échanges entre Madrid et la Catalogne".
L'attitude la plus répandue consiste donc à renvoyer tout le monde dos à dos. Thierry Mariani, membre du bureau politique de LR, en a profité pour taper sur l'Union européenne qui attiserait, selon lui, "le feu des indépendantismes" en traitant "directement avec les régions".
À court circuiter les États pour traiter directement avec les régions,l'Union Européenne a attisé le feu des indépendantismes #Catalogne
— Thierry MARIANI ن (@ThierryMARIANI) 4 octobre 2017
Le FN renvoie tout le monde dos à dos. Exactement la position du Front national, qui accuse la politique européenne de "soutenir les revendications régionalistes ou séparatistes". Et trouve également que les indépendantistes "soutenus par l'extrême gauche catalane totalitaire et antidémocratique" sont "sectaires". Le responsable de la communication du parti, David Rachline, s'est lancé dans une impeccable imitation de Donald Trump en dénonçant "des violences des deux côtés". Le Front national se retrouve donc dans la position de la quasi-totalité de la classe politique française : celle de commentateur, obligé d'adopter un discours du "ni-ni" des plus prudents, mais qui préfère encore garder le silence.