L'abandon du droit de vote des étrangers peut-il coûter cher à la gauche ?

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Manuel Valls à SciencesPo, mercredi. © THOMAS SAMSON / AFP
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Manuel Valls a mis fin mercredi à tout espoir de voir se réaliser la promesse numéro 50 du candidat Hollande. 

C'était la promesse numéro 50 du programme du candidat François Hollande à la présidentielle de 2012 : "J’accorderai le droit de vote aux élections locales aux étrangers résidant légalement en France depuis cinq ans." Mais Manuel Valls a définitivement mis fin, mercredi, à tout espoir de voir cette promesse se réaliser.  Elle "ne sera pas mise en œuvre. Et je suis convaincu qu'elle ne sera pas reproposée à la prochaine élection présidentielle", a clairement déclaré le Premier ministre, qui s'exprimait devant des étudiants de Sciences Po.

>> Mais ce recul aura-t-il vraiment un impact électoral ?

Les Français n'en veulent pas. Si l'on prend l'ensemble des Français, la mesure est de moins en moins populaire. Alors qu'en 2011 ils étaient majoritairement favorables au droit de vote des étrangers, ils sont désormais 60% à être contre, à en croire la dernière enquête sur le sujet, réalisée en décembre dernier par Odoxa.

"L'opinion publique s'est récemment tendue sur ce type de questions : l'immigration, l'intégration etc. En outre, personne ne considère ce sujet comme une priorité. En concentrant son temps et son énergie dessus, l'exécutif aurait donné l'impression de se disperser", décrypte pour Europe 1 Gaël Sliman, président d'Odoxa. Qui ajoute : "le problème, c'est qu'en renonçant, il donne l'impression d'un exécutif qui manque de courage. Il est perdant à tous les coup".

Mais la gauche y tient. En y renonçant, l'exécutif risque par ailleurs de diviser un peu plus la gauche. Selon l'enquête Odoxa, en effet, 70% des sympathisants de gauche restent favorables à cette mesure. Cette mesure était "un symbole pour le peuple de gauche qui se bat depuis 35 ans et les symboles comptent en politique. Manuel Valls vient d'y porter le dernier coup de canif", résume dans Libération la sénatrice écologiste Esther Benbassa. "Cette mesure est l'un des seuls dénominateurs communs de tous socialistes, les libéraux et les plus à gauche. L'abandonner va provoquer de la frustration", renchérit le sondeur Gaël Sliman.

La frustration est toutefois entamée depuis longtemps. Pour imposer la mesure, François Hollande devait réformer la Constitution et réunir ainsi 3/5e des votes du Parlement. Or, avec la perte de la majorité au Sénat et celle de nombreux sièges à l'Assemblée, l'exécutif en est loin. Et certains socialistes semblent s'être faits à l'idée. "A ce stade, on ne peut pas le faire. C'est difficile de dire que l'on rend les armes. Mais on rompt aussi avec une hypocrisie", estime ainsi le député PS Razzy Hammadi, pourtant fervent défenseur de la mesure, interrogé par Europe 1.

 

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L'exécutif déçoit un peu plus l'électorat issu de l'immigration. Il n'empêche, avec ce recul, l'exécutif risque aussi de se mettre davantage à dos les Français issus de l'immigration, qui côtoient au quotidien des "exclus" du droit de vote. "Comme l'ensemble des Français, leur priorité reste l'emploi, le logement ou le pouvoir d'achat. Mais cela représente une déception supplémentaire qui leur donnera encore moins l'envie de se mobiliser", estime Gaël Sliman. Qui poursuit : "cet abandon est moins anodin pour eux que les autres. Avec cette promesse, François Hollande leur avait donné une impression de reconnaissance".

Même son de cloche du côté de Stéphane Troussel, président du département de Seine-Saint-Denis, interrogé dans Libération : "les premières requêtes (des habitants des quartiers populaires) concernent le logement, l'emploi, l'éducation. Mais lorsqu'on gratte un peu, le droit de vote refait surface. Les étrangers vivent cela comme une discrimination".

Un pari "cynique" de François Hollande ? Difficile de mesurer l'impact électoral des Français issus de l'immigration, car les statistiques ethniques sont interdites. Mais selon une récente enquête de l'Ifop basée sur "les prénoms et parfois sur les lieux de naissances" des sondés, 86% de la "communauté musulmane" ou "issue de l'immigration maghrébine", soit 5% de l'électorat français, avait par exemple voté pour François Hollande en 2012.

Or, "cet électorat s'est principalement réfugié dans l'abstention, d'où un effondrement du nombre de voix par la gauche dans toute une série de quartier", explique le directeur du département Opinion de l'Ifop, Jérôme Fourquet, cité par RFI. Ce qui inspire cette conclusion à Gaël Sliman, d'Odoxa : "l'électorat issu de l'immigration ne se remobilisera probablement pas aux régionales. Si l'on se place d'un point de vue totalement cynique, le pari de François Hollande est peut-être de miser sur le fait que cet électorat se remobilisera en 2017 pour ne pas laisser passer la droite".