Il n’y aura donc pas, à court terme du moins, de grand discours présidentiel sur la laïcité. Selon des informations du Canard Enchaîné confirmées par Europe 1, Emmanuel Macron a renoncé à s’exprimer publiquement sur cette question ô combien sensible. Il faut donc se contenter de ses vœux prononcés devant les autorités religieuses le 4 janvier dernier pour connaître la pensée présidentielle en la matière. Problème : ce discours a été prononcé à huis clos, en l’absence de tout journaliste. Pas de quoi alimenter - ou clore - un débat qui parfois empoisonne et crispe la sphère publique et politique.
Ce qu’il a dit
Signe qu’Emmanuel Macron considère que son discours de la laïcité a eu lieu le 4 janvier, il en a envoyé la retranscription à la presse. Mais sans extrait vidéo, forcément, l’impact n’est pas le même. Cela permet tout de même de comprendre que le chef de l’Etat préfère une laïcité ouverte à une laïcité de combat chère notamment à Manuel Valls.
"Ce sécularisme à la française est un ciment puissant dans notre pays où la religion est inscrite dans l’héritage intellectuel, culturel, social. Cela donne à l’Etat une position de surplomb et d’arbitre qui lui permet de ne pas sans cesse rejouer sa légitimité politique à l’aune des débats spirituels", a-t-il notamment déclaré. "La laïcité ne doit pas être une religion d’État qui se substitue aux religions, mais pas davantage, la religion ne saurait colorer la vie politique de la nation", a aussi affirmé le président de la République. Pour l’Elysée, la messe est dite : inutile d’en rajouter, ce discours suffit. "Il y a tout là-dedans", glisse un conseiller à Europe 1.
Pourquoi il ne le dira plus
Si Emmanuel Macron s’abstiendra d’aborder à nouveau le sujet, c’est d’abord parce qu’au sein même de sa majorité, son point de vue ne fait pas consensus. Sans surprise, la voix la plus dissonante est celle de Manuel Valls. "Quand le président dit 'la République est laïque et pas la société française', sur ce sujet-là je ne suis pas d'accord", a déclaré l'ancien chef du gouvernement mardi sur Europe 1. "Je ne comprends pas l'idée d'une laïcité radicalisée. De manière générale, je n'aime pas l'idée des adjectifs attachés à la laïcité : la laïcité 'ouverte' contre la laïcité 'radicalisée'", a insisté le député de l’Essonne, apparenté LREM.
Pas question donc pour l’Elysée de se jeter dans un débat qui pourrait fracturer son camp, alors même que le gouvernement aura besoin d’une majorité unie pour de futurs projets de loi. Et notamment le texte déjà décrié sur l’immigration que s’apprête à porter Gérard Collomb dans l’hémicycle. Inutile d’en rajouter, juge-t-on au Palais. Sans compter que l’opposition, tapie, est elle aussi à l’affût.
Un exemple : Valérie Boyer, catholique revendiquée et secrétaire générale adjointe des Républicains, a réclamé une parole présidentielle sur la laïcité. Nul doute qu’un sein du parti de droite, les armes sont déjà fourbies.
Il serait temps que #Macron s'exprime sur la laïcité. Être laïque aujourd'hui ce n'est pas être amnésique. La laïcité est née dans les pays aux racines chrétiennes. #TEP
— Valérie Boyer (@valerieboyer13) 9 janvier 2018
"J’espère qu’il reviendra sur cette décision"
Pour Jean Baubérot, spécialiste de la laïcité et grand connaisseur de la loi de 1905, ce renoncement présidentiel est dommageable. "J’espère qu’il reviendra sur cette décision", affirme à europe1.fr cet ancien titulaire de la Chaire histoire et sociologie de la laïcité à l’Ecole pratique des hautes études de la Sorbonne. "C’est dommage qu’il n’ait pas prononcé son discours en public et devant un éventail plus large, notamment toutes les associations irreligieuses, mais pas forcément illégitimes, qui réfléchissent au sens de la vie", poursuit l’auteur notamment de La laïcité falsifiée publiée en 2012 (ed. La Découverte).
Cette décision est d’autant plus dommage que selon l’historien et sociologue, "nous avons en France un débat de très faible qualité sur la laïcité, qui est trop souvent instrumentalisée". Or, la prise de parole présidentielle "était un discours de grande hauteur et de grande qualité, de haute tenue historique et philosophique", estime encore Jean Baubérot. "Mais il y a sans doute un aspect stratégique chez Emmanuel Macron, qui ne veut pas polémiquer avec M. Valls, dont la vision de la laïcité est primaire, ni donner du crédit à ses adversaires." L’universitaire estime toutefois qu’Emmanuel Macron devra à un moment ou un autre donner publiquement son point de vue. "Il faudra bien qu’il s’explique, qu’il s’adresse au pays sur cette question", estime-t-il.
"Je ne crois pas que ça le perturbe beaucoup"
Au sein de la majorité, forcément, on relativise la portée de ce renoncement. "Nous ne sommes pas déçus", jure à Europe 1.fr Aurélien Taché, qui s’est vu confier un groupe de travail sur la laïcité au sein de La République en marche. "Emmanuel Macron s’est exprimé à plusieurs reprises sur le sujet, et notamment lors de ses vœux aux cultes. Et je suis sûr qu’il aura l’occasion de redire sa position plus tard", veut croire le député du Val d’Oise. "C’est un sujet qui mérite qu’on y consacre le temps nécessaire. La majorité a la responsabilité de faire ce travail-là de couture dans la société, sur le terrain.
L’élu convient que le moment n’était pas forcément bien choisi, en plein "combat à mort pour savoir quelle est la bonne définition de la laïcité". Mais il réfute tout recul stratégique du président de la République. "Le fait qu’il puisse y avoir des gens au sein de la majorité qui ne pensent pas comme lui, je ne crois pas que çà le perturbe beaucoup", sourit Aurélien Taché. Qui relativise aussi le poids de Manuel Valls. "C’est vrai que ce n’est pas n’importe qui. Mais précisément, de par sa personnalité, son parcours, il n’est pas représentatif de la majorité sur cette question. Il y a beaucoup plus de gens qui pensent comme Emmanuel Macron au sein de la majorité", assure-t-il.