Un candidat à la présidentielle qui crie au scandale d'Etat, l'Elysée qui crie aux "mensonges", et des journalistes qui rajoutent leur grain de sel… La campagne présidentielle a pris un tour encore un peu plus stupéfiant jeudi soir, lors de L'Emission politique de France 2.
Pas de "preuve" de l'existence d'un cabinet noir. En effet, selon François Fillon, François Hollande suit et influence quasiment toutes les procédures politico-judiciaires, grâce à un puissant réseau de fidèles haut placés. François Fillon ose aller aussi loin après avoir lu les bonnes feuilles d'un livre intitulé Bienvenue Place Beauvau : les secrets inavouables du quinquennat. Mais vendredi matin, les auteurs du livre se sentent instrumentalisés. "C'est sa lecture, ce n'est pas celle que nous avons, ni le travail que nous avons fait. Nous écrivons noir sur blanc que nous n'avons pas trouvé la preuve de l'existence d'un cabinet noir. On le regrette d'ailleurs, parce qu'on a cherché. Mais ce n'est pas le cas, malheureusement pour lui", assure Didier Hassoux, journaliste au Canard Enchaîné et l'un des auteurs du livre.
Une enquête tout de même accablante. Didier Hassoux se montre bien plus prudent que dans son livre. Europe 1 l'a lu de A à Z, jeudi soir, et cette minutieuse enquête est accablante. Que révèle-t-elle ? "Il n'est pas possible d'apporter la preuve formelle [de l'existence d'un cabinet noir, NDLR]. Comme il n'est pas possible de prouver le contraire ! Mais l'addition d'indices troubles et de témoignages étonnants interroge. Plusieurs observateurs bien placés dans l'appareil policier nous ont décrit l'existence d'une structure clandestine, aux ramifications complexes, et dont le rayon d'action ne se serait pas cantonné au seul renseignement territorial", peut-on notamment lire page 24 du livre.
Plus loin, certains passages évoquent le rôle de Tracfin, la structure de renseignement financier du ministère de l'Économie. "La plupart des affaires judiciaires qui ont empoisonné Sarko et les siens ont trouvé leurs racines ici, dans cet immeuble ultra-sécurisé du 9ème arrondissement de Paris, entièrement classé secret-défense. Là, cent vingt fonctionnaires sont habilités à fourrer leur nez dans les comptes en banque de n'importe qui. chaque semaine, le patron de Tracfin [Bruno Dalles, ndlr] prend le chemin de l'Élysée pour assister, avec les directeurs des six autres services secrets, à la réunion organisée par le coordinateur du renseignement", un poste aujourd'hui occupé par le préfet socialiste Yann Jounot, écrivent les auteurs page 24. Dans L'Émission politique, jeudi, François Fillon parlait de son côté d'un livre "qui explique (…) comment il est branché directement sur Bercy, sur Tracfin, sur des informations qui lui sont apportées en permanence".
Une trop grande proximité entre le pouvoir et les autorités judiciaires ? Pas de preuves d'un véritable "cabinet noir", mais les journalistes décrivent une proximité certaine entre le pouvoir socialiste et les autorités judiciaires. "Une fois la machine lancée, le dossier [d'une potentielle affaire politico-financière, NDLR] emprunte un alambic judiciaire, sous le regard d'un ami du président, le directeur des affaires criminelles et des grâces (DACG), Robert Galli, qui a partagé la même chambrée que François Hollande et Michel Sapin lors de leur service militaire. Après l'élection de 2012, cet ancien conseiller de Jospin à Matignon est tout de suite promu chef du parquet de Nanterre dans les Hauts-de-Seine. D'où il dégoupille quelques grenades contre Patrick Balkany, le copain d'enfance de Nicolas Sarkozy", est-il écrit page 25.
"La DACG n'est pas seulement l'oeil de la Chancellerie, c'est aussi un moyen de piloter discrètement les dossiers politiquement sensibles", révèle une source au Parquet mentionnée par les auteurs, qui citent l'affaire Air Cocaïne, dans laquelle la juge chargée de l'affaire parvient à géolocaliser les deux téléphones de Nicolas Sarkozy et à en récupérer les factures détaillées, les "fadettes".
Parole contre parole. Jeudi soir, dans un communiqué, l'Elysée a démenti en bloc ces accusations, assurant "n'être jamais intervenu dans aucune procédure judiciaire depuis 2012", et n'avoir été "informé que par la presse" de l’affaire Fillon. Pour l'instant, c'est donc parole contre parole au plus haut sommet. Vendredi matin, François Hollande a redoublé de critiques envers le candidat LR : "Je pense que M. Fillon est au-delà maintenant, ou en-deçà" d'"une dignité, une responsabilité à respecter".