Et de sept. Depuis octobre 2003, le Front national n’en finit pas d’essaimer les collectifs estampillés Rassemblement Bleu Marine (RBM), son émanation édulcorée. Mardi, c’est au tour de Banlieues patriotes d’être lancé, en présence de Marine Le Pen et du président de la structure, Jordan Bardella, secrétaire départemental en Seine-Saint-Denis, 20 ans seulement. "Nous voulons déconstruire le mythe de l'opposition FN/Banlieues", expliquait le jeune homme en octobre 2015, au moment de l’annonce du projet.
Pour renouer avec les territoires perdus de la République, le lancement du @CollecBanlieues c'est demain ! pic.twitter.com/19ug7RZ6fv
— Jordan Bardella (@J_Bardella) 25 Janvier 2016
Ce septième collectif RBM s’inscrit donc dans la droite ligne des six précédents, à destination à chaque fois de publics traditionnellement hostiles au FN.
Deux ans, sept collectifs… et ce n’est pas fini.Tout a commencé en octobre 2003 avec le lancement du Collectif Racine, destiné aux enseignants. Ont suivi Marianne, pour les étudiants, en mars 2014, Audace, pour les Jeunes actifs, en septembre de la même année, Nouvelle Ecologie en décembre ; puis le collectif Clic, qui se pique de culture, et Mer et Francophonie, tous deux en juin 2015. "L’un des objectifs est de nous installer sur des sujets sur lequel on nous entend assez peu", explique Mathilde Androuët, responsable du lancement des collectifs RBM au Front national, jointe par Europe1.fr. "Il y a surtout un effet médiatique", avance de son côté Erwan Lecoeur, sociologue spécialiste de l’extrême droite française. "On parle du FN, qui se présente comme capable de s’ouvrir".
Une stratégie pas nouvelle… La stratégie des collectifs n’est pas franchement nouvelle au Front national. Sous l'impulsion de Bruno Mégret, dans les années 1990, plusieurs dizaines avaient vu le jour, avec le même objectif d’ouverture. "Le fait nouveau, c’est que ça fonctionne médiatiquement", complète Erwan Lecoeur. "Avec Bruno Mégret, cela avait commencé à fonctionner, mais la stratégie avait explosé avec la scission" d’avec Jean-Marie Le Pen en 1998. Et si Marine Le Pen avait alors soutenu son père, elle a, sous l’impulsion de Florian Philippot, décidé de reprendre la stratégie mégrétiste. "Le marinisme n’est finalement qu’une application du mégrétisme, avec cet élargissement de la base militante, dans le but, sur le long terme, de faire exploser la droite traditionnelle", explique le sociologue.
…Remise au goût du jour. Pour autant, les collectifs sont créés avec soin et beaucoup de préparation. "Ils ont compris qu’il leur fallait des têtes d’affiche pas forcément issues de leur rang, ou pas identifiées comme tel, et qui montre que le FN est capable de faire des prises de guerre", analyse Erwan Lecoeur. L’exemple le plus frappant est celui de Sébastien Chenu, transfuge de l’UMP et président du collectif Clic (Culture, Libertés et créations), créé en juin 2015.
Le FN fait tout aussi pour éviter le syndrome de la coquille vide. "On ne lance rien tant que des personnes motivées ne se sont pas manifestées, tant qu’un corps potentiel n’est pas constitué. C’est la clé du succès", admet Mathilde Androuët. "Ensuite, on laisse le temps au projet de la maturation, puis on donne les clés logistiques. Puis on invite Marine (Le Pen), qui les écoute et nourrit ainsi sa réflexion pour 2017", raconte la responsable du lancement de ces collectifs au FN.
En termes d’adhésions, le bilan n’est pas forcément reluisant pour tous les collectifs. "Nouvelle Ecologie suscite un élan assez surprenant, avec toutes les semaines des nouveaux adhérents. En revanche, Mer et Francophonie, qui concerne des sujets plus pointus, comme le développement et la collaboration, génère moins d’adhésions", reconnaît Mathilde Androuët. Quant à Marianne, à destination des étudiants, il revendique 350 adhérents. En près de deux ans d’existence, c’est peu. "Les collectifs n’ont pas vocation à être des organes pléthoriques, mais des structures très sectorielles pour alimenter le futur programme de Marine Le Pen", se défend David Masson-Weyl, président du collectif.
Une stratégie payante, mais… De toute façon l’essentiel n’est pas là. "A chaque petit buzz médiatique, c’est une victoire politique", assure Erwan Lecoeur" et puis il y a bel et bien des gens déçus des autres partis politiques, et pas seulement de la droite, qui se tournent vers cette nouvelle façon de faire de la politique, et qui confère au FN le statut d’un parti presque dépolitisé, pour devenir un parti de mécontents. Or, des mécontents, il y en a beaucoup actuellement en France", prévient le spécialiste de l’extrême droite. "Il est donc fort probable qu’il ne s’arrête pas là". En effet, deux collectifs, sont d’ores et déjà sur les rails. L’un concerne la cause animale, l’autre la santé. "De temps en temps, le Front national aura besoin de faire des coups médiatiques. Donc on peut imaginer des collectifs portés par des personnes qui ont des orientations sexuelles différentes, voire des orientations religieuses différentes", prédit Erwan Lecoeur.
Le FN semble dont pleinement satisfait de cette stratégie des collectifs. Elle comporte un risque toutefois, et de taille. "Toute cette ouverture vers de nouveaux publics ne devrait pas convenir à l’immense majorité de la base militante historique du FN", relève le sociologue. "Marine Le Pen, qui incarne cette stratégie, devrait être abandonnée par tous les pontes, tous les tenants de l’idéologie. Mais s’ils la supportent encore, c’est qu’elle leur promet une victoire potentielle à long terme. Si cette victoire n’arrive pas, il y aura un risque d’explosion". Et sans aucun doute, les collectifs feront partie des victimes collatérales d’une telle déflagration.