"Face à un champ de ruines, on a une question à se poser : est-ce qu'on prend la truelle ?" Cet élu socialiste nous résume la situation actuelle de son parti en une phrase, et l'état d’esprit de ses membres en un mot : "sidération". C'est pourtant bien de cette sidération que les responsables du PS vont devoir se sortir s'ils veulent s'atteler à la refondation d'une famille politique qui a subi coup sur coup deux défaites cuisantes à la présidentielle et aux législatives.
La tâche est immense. Discrédité tant au niveau de son personnel que dans son offre politique, le PS doit aussi faire face à des problèmes d'ordre financier qui l'obligent à se défaire de son siège historique, rue de Solférino. Le Conseil national du parti, organisé samedi, doit permettre de tourner définitivement la page du champ de ruines et saisir la truelle, en vue du Congrès, prévu à Paris en février prochain.
Changer la tête. D'ici là, le PS doit d'abord régler la question de sa tête. Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire depuis 2014, a annoncé sa démission après les législatives, et raccrochera définitivement les gants ce week-end, le pot de départ étant prévu lundi. Une direction collégiale a été mise en place pendant l'été pour reprendre la main. Reste à savoir si c'est de nouveau cette option qui sera choisie, samedi, pour mener le PS jusqu'à son Congrès ou si Rachid Temal, actuel n°2 et sénateur fraîchement élu, assurera l'intérim.
" Face à un champ de ruines, on a une question à se poser : est-ce qu'on prend la truelle ? "
Mainmise de Cambadélis. C'est là que les choses se corsent. En théorie, les statuts du parti prévoient que Rachid Temal remplace Jean-Christophe Cambadélis. En outre, la direction collégiale, pléthorique (28 personnes en comptant porte-paroles et membres de droit) a été critiquée pour son manque de pouvoir réel donc d'efficacité.
Mais au sein de ladite direction collégiale, on redoute que l'arrivée de Rachid Temal à la tête du PS permette en réalité à Jean-Christophe Cambadélis de garder la main sur le parti. Le futur ex-premier secrétaire aurait en effet piloté plusieurs dossiers sensibles sans consulter personne ces derniers mois, notamment la mise en vente du QG de Solférino, quelque 3.000 m² en plein cœur de Paris, qui pourraient renflouer les caisses. "Nous n'avons pas été tenus informés du plan social qui concerne les permanents", tempête Luc Carvounas, membre de la direction collégiale, dans L'Opinion.
"Médiocres divisions". Rachid Temal a bien tenté d'éteindre la contestation naissante en déclarant mercredi, sur FranceInfo, qu'il était lui-même "pour qu'il y ait un collectif". Reste que les appétits s'aiguisent et les tensions sont déjà maximales. "De toute façon, au PS, j'ai moins vu des gauches irréconciliables que des gens irréconciliables", soupire un membre de la jeune garde socialiste. "Des gens se haïssent depuis avant ma naissance." "Le parti est agonisant et nous pouvons définitivement l'achever en raison de nos médiocres divisions", abonde Eduardo Rihan-Cypel, membre de la direction collégiale, auprès de Reuters.
Jeune garde, vieux hollandais et presque Insoumis. Les interrogations vont bien au-delà de la simple question de la direction du PS par intérim. À plus long terme, nul ne s'aventurerait à pronostiquer qui pourrait prendre la place du chef de famille. D'un côté, la jeune garde, au sein de laquelle on compte Matthias Fekl, conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine, Boris Vallaud, député des Landes, ou Olivier Faure, chef de file des députés Nouvelle Gauche à l'Assemblée nationale, n'affiche pas d'ambition claire, même si chacun se dit prêt à participer à la reconstruction.
" Au PS, j'ai moins vu des gauches irréconciliables que des gens irréconciliables. "
Les regards se tournent également vers les derniers des hollandais, réunis autour de Stéphane Le Foll. Eux pourraient bien être tentés de reprendre la main, mais leur position reste fragile après la désastreuse fin du quinquennat Hollande. Enfin, certains membres de l'aile gauche, comme l'eurodéputé Emmanuel Maurel ou la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, ne cachent pas leur proximité avec la France Insoumise, dont ils pourraient vouloir se rapprocher. Le flou est tel que Jean-Christophe Cambadélis n'hésite pas, lui, à pronostiquer dans L'Opinion qu'il sera "le dernier premier secrétaire du parti".
Redéfinir la ligne politique. La question de la gouvernance est donc évidemment intrinsèquement liée à celle de la ligne politique, à redéfinir. Pour ce faire, le PS a donné à ses adhérents un questionnaire à remplir, jeudi. Les conclusions seront dévoilées samedi. Le parti doit absolument retrouver un espace et une voix, lui qui en est pour l'instant réduit à publier des communiqués pour "regretter" que France 2 choisisse Jean-Luc Mélenchon pour débattre face à Edouard Philippe dans L'Emission politique. "Il est temps de cesser d'alimenter ce petit jeu d'une majorité qui choisit son opposition et d'une opposition qui se rêve unique et solitaire." Difficile d'imaginer aveu d'impuissance plus clair…
Un PS refondé grâce à son ancrage local ? Dans cet océan d'incertitude, une lueur d'espoir pour le PS : il n'a pas été laminé aux sénatoriales comme à la présidentielle et aux législatives. Parti avec 86 élus, le parti est arrivé dimanche soir avec 81 sièges, loin de la débâcle annoncée. Preuve, au vu du mode de scrutin très particulier, que son ancrage local n'a pas disparu. C'est d'ailleurs sur celui-ci que Jean-Christophe Cambadélis propose de se baser pour mieux repartir. En faisant le choix d'un "parti girondin", comme il l'explique à L'Opinion, le PS se démarquerait, selon lui, du "jacobinisme" d'Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Laurent Wauquiez. Le futur ex-premier secrétaire oublie néanmoins un peu vite que la droite a déjà préempté le créneau de l'opposition "territoires contre Paris", qu'elle a fait jouer à plein lors de ces sénatoriales.