Discussions animées en perspective : alors qu'Emmanuel Macron a rappelé son attachement aux "fondements" de la langue française, le Sénat examine lundi soir une proposition de loi visant à "protéger" le Français "des dérives de l'écriture dite inclusive", un texte jugé "rétrograde" par la gauche. Au jour de l'inauguration par le président de la République de la Cité internationale de la langue française dans le château restauré de Villers-Cotterêts, le hasard du calendrier donne un certain écho aux travaux de la droite sénatoriale, qui promettent quelques débats houleux dans l'hémicycle à partir de 21h30.
"Ne pas céder aux airs du temps"
"Il faut permettre à cette langue (française) de vivre (...) mais en garder aussi les fondements, les socles de sa grammaire, la force de sa syntaxe, et ne pas céder aux airs du temps", a lancé Emmanuel Macron à la mi-journée depuis le château de l'Aisne. "Dans cette langue, le masculin fait le neutre, on n'a pas besoin d'ajouter des points au milieu des mots, ou des tirets, ou des choses pour la rendre lisible", a ajouté le chef de l'Etat dans une offensive peu masquée envers l'écriture inclusive.
>> LIRE AUSSI - Écriture inclusive : quels sont les enjeux de la proposition de loi qui vise à l'interdire ?
Le texte de la sénatrice Les Républicains, Pascale Gruny, s'y attaque encore plus frontalement: il prévoit en effet de bannir cette pratique "dans tous les cas où le législateur (et éventuellement le pouvoir règlementaire) exige un document en français". Un large panel est visé: les modes d'emploi, les contrats de travail, les règlements intérieurs d'entreprise, mais aussi les actes juridiques, qui seraient alors considérés comme irrecevables ou nuls si la mesure venait à être appliquée. Les sénateurs demandent l'interdiction des "mots grammaticaux" constituant des néologismes tels que "iel", une contraction de "il" et "elle", ou "celleux", contraction de "celles" et "ceux".
Point médian, double flexion
"C'est une pratique qui est justement contraire à l'inclusion", plaide auprès de l'AFP le rapporteur (rattaché LR) Cédric Vial. "Les plus impactés par son utilisation sont en effet les personnes en situation de handicap et d'illettrisme, ou atteintes de dyslexie". Adopté et même renforcé en commission mercredi, le texte suscite l'indignation d'une partie de la gauche. "C'est un texte inconstitutionnel, rétrograde et réactionnaire, qui s'inscrit dans un courant conservateur de longue date de lutte contre la visibilisation des femmes", s'offusque le sénateur socialiste Yan Chantrel.
A l'opposé, la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, a expliqué sur le réseau X (ex-Twitter) vouloir "protéger" la langue française "contre le wokisme dont l'écriture inclusive est une sinistre et grotesque manifestation". "La langue française est une créolisation réussie" et elle "appartient à ceux qui la parlent !", lui a rétorqué Jean-Luc Mélenchon, leader de la France insoumise. Qualifiée de "péril mortel" par l'Académie française, mais à l'inverse outil de lutte contre les inégalités femmes-hommes pour ses défenseurs, l'écriture "dite inclusive" désigne selon le texte du Sénat "les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l'emploi du masculin, lorsqu'il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l'existence d'une forme féminine".
L’inauguration de la cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts nous rappelle combien l’âme d’un peuple vit dans sa langue. Il nous faut protéger ce trésor inestimable contre le wokisme dont l’écriture inclusive est une sinistre et grotesque manifestation.
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) October 30, 2023
Pour le rapporteur, il n'y a par exemple "pas de problème" avec l'utilisation de la "double flexion", qui vise à décliner le pendant féminin d'un mot, comme "les sénateurs et les sénatrices" au lieu de "les sénateurs". Le fameux point médian, comme dans "sénateur.rice.s", lui, est clairement visé. Celui-ci est déjà proscrit dans l'enseignement par une circulaire de 2021 de l'ex-ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer.
Cartes d'identité
Yan Chantrel fait remarquer que la rédaction actuelle du texte rendrait nulles toutes les pièces d'identité éditées sous l'ancien format, où figure la mention "né(e) le" pour la date de naissance. Cédric Vial assure lui que cela n'entre pas dans le champ d'un "masculin générique" substitué. La proposition de loi a de bonnes chances d'aboutir à une adoption compte tenu de la domination de la droite et du centre à la chambre haute, ce qui serait une première au Parlement. Mais rien n'assure qu'elle sera reprise ensuite par l'Assemblée nationale.
>> LIRE AUSSI - Pascal Praud et vous - «C'est un saccage de notre belle langue française», une enseignante s’insurge face à l’écriture inclusive
L'interdiction de l'écriture inclusive existe actuellement dans une circulaire de 2017, prise par l'ex-Premier ministre Edouard Philippe. Celle-ci "invitait" les ministres, "en particulier pour les textes destinés à être publiés au Journal officiel de la République française, à ne pas faire usage de l'écriture dite inclusive".