Législatives : face à la déferlante Macron, y'a-t-il encore une place pour une opposition ?

Emmanuel Macron Assemblée
Si l'opposition à la République en marche! sera mise en sourdine à l'Assemblée, elle n'y sera pas non plus absente. © BERTRAND GUAY / AFP
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Après un premier tour des législatives très favorable à la République en marche!, de nombreux opposants politiques crient au "parti unique". L'opposition est-elle encore possible ?

Qui n'est pas macroniste a eu bien du mal à sauver sa peau, dimanche, pour le premier tour des élections législatives. Sur les 525 candidats investis par la République en marche! (REM) et son allié le MoDem, 516 se sont qualifiés pour le second tour. Dans 449 circonscriptions, ils sont arrivés en tête. Il ne reste aux autres partis que des miettes. Et les projections en nombre de sièges sont implacables : la REM et le MoDem obtiendront entre 390 et 450 députés, bien au-delà de la majorité absolue à 289.

"Un risque de parti unique". Dans ce contexte, des voix s'élèvent et s'inquiètent de l'absence d'opposition. "Nous avons un risque de parti unique", a fait valoir Valérie Pécresse, présidente LR d'Île-de-France sur TF1. Un élément de langage repris par toute une ribambelle de responsables de droite, de Hervé Mariton à Eric Ciotti. À gauche, Jean-Luc Mélenchon a encouragé les électeurs à ne pas donner "les pleins pouvoirs au parti du président".

À l'Assemblée, une opposition réduite

Sans groupe, une opposition très difficile. Qu'il y ait ou non le "sursaut" que tous les partis appellent de leur vœux au second tour, Emmanuel Macron bénéficiera d'une large majorité à l'Assemblée et l'opposition va voir sa marge de manœuvre réduite. Si LR et le PS pourront constituer un groupe parlementaire, il est peu probable que le Front national réunisse les 15 élus nécessaires. Ce sera impossible pour les écologistes et le parti communiste sans s'allier à d'autres formations, notamment la France Insoumise. Or, ne pas avoir de groupe est très handicapant pour jouer son rôle d'opposition.

Exit les places dans les huit commissions parlementaires permanentes, distribuées à la proportionnelle entre les groupes. Exit aussi un siège au Bureau de l'Assemblée nationale. Sans groupe, pas de président de groupe qui peut fixer, lors de la Conférence des présidents, le calendrier des débats. Impossible, également, d'imposer un ordre du jour une fois par mois. Sans compter les temps de parole, réduits à peau de chagrin.

Chefs sans groupe et groupes sans chef. Si, d'un côté, des poids lourds politiques vont sûrement se retrouver sans groupe, à l'instar de Marine Le Pen, bien partie pour l'emporter dans le Pas-de-Calais, il y aura aussi des groupes sans chef naturel. Notamment au PS, où bien des têtes d'affiches ont été éliminées dès le premier tour. Or, un bon président de groupe qui veille à l'harmonie des troupes est indispensable pour s'assurer que les députés conservent la capacité de blocage qui est la leur.

Quant à LR, il arrivera à former le groupe le plus conséquent hors REM, et ne devrait pas manquer de prétendants à la présidence de celui-ci. Mais la campagne présidentielle heurtée et la tentation de plusieurs élus dits "modérés" de s'inscrire dans une démarche "constructive" vis-à-vis du gouvernement laissent présager des dissensions internes et une opposition morcelée.

L'opposition n'est pas (complètement) muselée. Mais c'est aller un peu vite que de conclure que l'opposition sera pieds et poings liés du fait de son faible nombre. Certes, il lui sera difficile, pour ne pas dire impossible de légiférer. Mais c'est le cas de toute opposition dans le système actuel. En revanche, elle pourra toujours réclamer des commissions d'enquête et exercer ainsi un contrôle et une évaluation de l'action gouvernementale.

En outre, rien ne dit qu'Emmanuel Macron garde sa majorité absolue sur tous les textes. Même si ce n'est pas l'hypothèse la plus probable, il est bien placé pour savoir, pour en avoir fait partie sous François Hollande, qu'un gouvernement disposant d'une majorité absolue peut la perdre en cas de fronde. Il se pourrait même qu'en étant très nombreux, les députés se sentent moins obligés de se montrer loyaux en toute circonstance. "Oui, nous allons challenger le gouvernement puisque c'est également le rôle des élus : contrôler l'action du gouvernement", a par exemple assuré Laetitia Avia, candidate REM à Paris, à FranceInfo. Pourrait-elle voter contre un texte de l'exécutif ? "Evidemment", a-t-elle martelé.

 

Le contre-pouvoir du Sénat

"Le Sénat n'a pas basculé politiquement". S'il lui est souvent fait un procès en inutilité, le Sénat, aujourd'hui majoritairement à droite, constitue encore un lieu de contre-pouvoir. "Le Sénat n'a pas basculé politiquement et je ne crois pas qu'en septembre [lorsqu'un tiers de ses membres seront renouvelés, NDLR] il bascule", a d'ailleurs répliqué sur France 2 le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, lorsqu'il a été interrogé sur un risque de trop grande hégémonie de la REM.

Dans les faits, celui-ci peut non seulement ralentir l'examen d'un texte en repoussant son examen (ce qu'il avait fait, sous le précédent quinquennat, pour la loi de pénalisation des clients de prostituées par exemple) mais aussi, par exemple, enterrer une révision constitutionnelle (ce qu'il avait fait aussi sur la déchéance de nationalité). Sans compter que ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas le dernier mot lors d'une navette législative que les sénateurs ne peuvent pas influer sur un texte.

Des exécutifs locaux pas forcément en ordre marche

Par ailleurs, Emmanuel Macron ne possède pas la majorité des exécutifs locaux. En 2012, la gauche avec François Hollande avait réussi à obtenir la majorité absolue à l'Assemblée et au Sénat, mais possédait également 21 des 22 régions françaises, 56 départements sur 96 et 15 des 20 plus grandes communes françaises. Et la droite, à l'époque, n'avait pas hésité à fustiger les "pleins pouvoirs" de ses opposants de toujours…alors qu'elle-même avait été en situation hégémonique plusieurs décennies auparavant.

Le Conseil constitutionnel, véritable contre-pouvoir

Dans la Ve République, marquée par une concentration des pouvoirs dans les mains de l'exécutif, c'est bel et bien le Conseil constitutionnel qui peut représenter le meilleur garde-fou. "Il dispose d'un pouvoir considérable", rappelle l'historien Serge Berstein à Atlantico. "Il peut censurer une loi prise par la majorité parlementaire sur demande du gouvernement. C'est le contre-pouvoir le plus solide dans le système institutionnel français." La taxe à 75% de François Hollande, notamment, en avait fait les frais.

Aujourd'hui, une saisine du Conseil constitutionnel peut être décidée par 60 députés ou 60 sénateurs. Ce qui ne posera aucun problème à la droite, qui aura le nombre, mais pourrait être plus compliqué pour la gauche à l'Assemblée.

Le Conseil constitutionnel est le contre-pouvoir le plus solide dans le système institutionnel français.

Une opposition qui demande de dépasser les clivages

C'est là, probablement, que se niche le cœur du problème : si, dans la configuration actuelle, certains déplorent une absence d'opposition, c'est qu'ils sont habitués à un fonctionnement politique classique autour du clivage droite/gauche. Celui-ci avait déjà été sérieusement endommagé pendant le quinquennat de François Hollande, lorsqu'une partie des socialistes avaient organisé la fronde. Sans, toutefois, jamais aller au bout lorsqu'il avait été question, par exemple, de s'allier à la droite pour faire adopter une motion de censure contre le gouvernement.

Désormais, si elle veut avoir voix au chapitre, l'opposition n'aura pas le choix. Il lui faudra s'allier pour peser collectivement. C'est d'ailleurs l'ambition affichée des responsables de la REM, à l'instar de Jean-Paul Delevoye, président de la Commission nationale d'investiture du parti pour les législatives. "Avant, le débat consistait à neutraliser celui qui ne pensait pas comme vous", a-t-il résumé lundi matin sur Europe 1. "Nous, nous allons redonner une culture du débat. Le débat est une richesse. L'avenir est plein d'incertitudes et nous devons construire les périmètres de nos dissensus pour mieux construire le chemin de nos consensus." Autrement dit, sortir d'une opposition, qu'Emmanuel Macron a toujours jugée stérile, entre élus béni-oui-oui et élus béni-non-non. La tâche s'annonce ardue.

 

Les précédentes majorités très larges

Ce n'est pas la première fois que l'Assemblée voit une tendance politique emporter une large majorité. En 1981, avec l'élection de François Mitterrand, l'hémicycle se pare de rose. Il n'y a alors que 491 élus en tout, et 285 sont socialistes. Avec les 44 communistes, alliés du PS à l'époque, la domination de la gauche est écrasante.

En 1993, c'est la droite qui prend sa revanche. L'Union pour la France de Jacques Chirac, qui rassemble le RPR et l'UDF, remporte 472 sièges sur 577. 

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