L’enjeu des législatives des 11 et 18 juin prochains n’est pas seulement politique. Il est aussi largement financier. Car la dotation publique allouée aux partis politiques est pour l’essentiel calculée sur le résultat des élections législatives. La formation qui l’emporte n’a donc pas seulement le plus grand nombre de députés, elle est assurée d’une confortable manne financière pour les cinq années à venir. Pour La République en marche (LREM) ou le MoDem, c’est un pactole potentiel qui se profile. Pour le Parti socialiste et Europe Ecologie-les Verts au contraire, le risque d’une situation précarisée, voire d’une banqueroute, existe.
- 1,42 euro par voix, 37.433 euros par parlementaire
Pour prétendre à une aide financière publique, un parti doit avoir recueilli au moins 1% des voix dans 50 circonscriptions (sur 577). Dès lors, la dotation est divisée en deux fractions. L’une calculée sur le nombre de voix obtenues au premier tour, l’autre sur le nombre de sièges de parlementaires nationaux (députés et sénateurs) remportés.
La première fraction peut rapporter à elle seule plusieurs millions d’euros. Selon le décret du 4 février 2016, une voix obtenue rapporte ainsi en théorie 1,42 euro au parti concerné. En théorie, car ce chiffre est susceptible d’évoluer en fonction de la loi sur la parité. Une formation peut en effet être pénalisée si elle a présenté moins de femmes que d’hommes. En 2016, en vertu de ces règles, le Parti socialiste a ainsi obtenu plus de dix millions d’euros (1,26 euro par voix) ; Les Républicains plus de six millions d’euros (0,9 euro par voix), le Front national près de 5 millions d’euros (1,4), et le MoDem, sous l’appellation Le Centre pour la France, un peu plus de 500.000 euros (1,15).
La deuxième fraction ne dépend pas entièrement des législatives, puisqu’elle prend en compte aussi le nombre de sénateurs détenu par un parti. Elle n’est pas négligeable pour autant. Selon le même décret de février 2016, un parlementaire national - les eurodéputés sont exclus du calcul- rapporte ainsi 34.733 euros à son parti. Soit près de 15 millions d’euros pour le PS et ses 398 parlementaires, ou près de 150.000 euros pour le FN, pour ses deux députés et ses deux sénateurs.
- Jackpot pour LREM et le MoDem ?
Favorite aux élections législatives, La République en marche peut donc espérer se tailler la part du lion. Nouvellement créé, le mouvement part de zéro, l’afflux d’argent pourrait être colossal, de l’ordre de 20 millions d’euros par an. De quoi largement se structurer, embaucher des permanents, louer, voire acquérir un siège à Paris… Bref, devenir un parti politique comme les autres. Dans une bien moindre mesure, La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon peut aussi espérer une confortable manne financière dans le quinquennat à venir.
" Il n'y a pas de raison que ça nous monte à la tête "
Mais c’est surtout pour le MoDem que la différence s’annonce sensible. Depuis 2012, le parti de François Bayrou doit se contenter de moins d’un million d’euros annuel. Cela pourrait être dix fois plus. A condition que les élus et les voix obtenus le soient bel et bien sous l’étiquette MoDem. Une nuance qui a pu expliquer la tension passagère avec LREM au lendemain du second tour. "Ce n’était pas le sujet", jure à Europe1.fr Yann Wehrling, porte-parole du MoDem, avant de concéder que la possibilité de se présenter sous la bannière MoDem, que le parti centriste a été le seul à obtenir "a fait partie des choses négociées" avec LREM lors du rapprochement des deux entités.
Pour le Mouvement démocrate, exsangue quasiment depuis sa création en 2007, le changement s’annonce en tout cas profond. "C’est sûr qu’on va avoir plus de moyens pour mener notre action politique. On regardera ça après les législatives", explique Yann Wehrling. Les millions d’euros risquent-ils de donner le tournis au MoDem ? "François Bayrou a connu des moments plus fastes et des moments plus difficiles. Il n’y a pas de raison que ça nous monte à la tête ", assure le porte-parole du MoDem.
- Difficultés en vue pour le PS… et pour d’autres
Si François Bayrou peut donc témoigner qu’en politique, la roue tourne, le Parti socialiste s’apprête à l’éprouver avec douleur. Lui qui empochait près de 25 millions d’euros par an de dotation publique risque bien de se voir réduire à la portion congrue. Or, sans cette manne, le PS risque d’être en difficultés. Certes, il peut encore compter, selon ses comptes de 2015, sur près de 20 millions d’euros de cotisation de ses adhérents et de ses élus, mais ses frais de fonctionnement sont énormes. Le Parti socialiste dépense ainsi tous les ans près de 22 millions d’euros en frais de personnel, plus de 5 millions d’euros en communication et propagande ou encore près de 13 millions de charges externes diverses.
" Il y aura des décision qui ne seront pas simples à prendre "
Des dépenses qu’il conviendra de limiter à l’avenir, si le spectre d’une large défaite aux législatives se confirme. En tout cas, le parti s’y prépare. "Depuis l’élection présidentielle, nous échafaudons quelques scénarios", explique Jean-François Debat, le trésorier du PS. "Il y aura des décisions qui ne seront pas simples à prendre", admet-il, sans préciser si des licenciements seront nécessaires. Et en assurant que l’existence même du PS n’est pas en jeu. "Nous avons connu une situation grave en 1993, mais aussi en 2002. Il faut s’adapter", rappelle le maire de Bourg-en-Bresse. "Mais la situation financière dépend de la situation politique. Et il y a de l’avenir pour cet espace politique entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon."
"C’est la règle du jeu, après chaque législatives, les cartes sont rebrassées", conclut Jean-François Debat. "Ça ne fera pas de mal au PS de découvrir ce que c’est de faire de la politique avec peu de moyens. On peut leur donner des conseils", ironise de son côté Yann Wehrling. "Avoir moins de moyens, ça rend modeste, moins arrogant, ce n’est pas plus mal", tacle encore le porte-parole du MoDem.
Le Parti socialiste n’est pas le seul à risquer gros. Certains partis pourraient même avoir du mal à se remettre de mauvais résultats potentiels. Déjà très en difficulté sur le plan économique, Europe Ecologie-Les Verts aura ainsi bien du mal à se passer des près de trois millions d’euros reçus annuellement. Idem pour le Parti communiste français, qui touche annuellement près de trois millions d’euros, lui aussi. Sans accord avec La France insoumise, le PCF va au devant d’une catastrophe électorale et donc financière. C’est son avenir même qui est en jeu. L’inédite recomposition politique que connaît la France actuellement pourrait aussi se jouer au portefeuille.