Tenir bon… coûte que coûte. Après la retraite surprise de Marion Maréchal-Le Pen de la vie politique, le Front national entame la bataille des législatives dans une drôle d’ambiance. En dépit de son record de voix au second tour de la présidentielle (un peu plus de 10 millions d’électeurs), le parti doit faire face, en interne, à la remise en cause de sa ligne politique, jugée trop "gauchisante", au détriment de son socle historique à droite incarné par Marion Maréchal-Le Pen.
Face au risque de divisions, les cadres frontistes s’empressent de tenir les troupes, tout du moins jusqu’aux législatives. "Nous allons être la seule opposition", a encore martelé mercredi David Rachline sur Europe 1, espérant rafler "beaucoup de (de députés) pour pouvoir (s’)opposer" au gouvernement Macron. Combien ? Si le nombre d’une cinquantaine de circonscriptions gagnables était avancé en début de semaine, l’ex-directeur de campagne de Marine Le Pen se garde désormais d’avancer un chiffre. A bien des raisons.
Un vide dans le Sud-Est, terre électorale FN
Avec la renonciation de Marion Maréchal-Le Pen, le parti d'extrême droite perd de son ancrage législatif dans le Sud-Est, terrain électoral fertile pour le FN. En 2012, c’est en effet la 3è circonscription du Var qui a envoyé la petite fille de Jean-Marie Le Pen à l’Assemblée, rejoint par Gilbert Collard, élu sous les couleurs du Rassemblement bleu marine dans la 2è circonscription du Gard. Si le député sortant a de bonnes chances de s’y faire réélire - Marine Le Pen y a réalisé un de ses meilleurs scores avec 50,94% des suffrages au second tour -, l’absence de Marion Maréchal-Le Pen risque d’impacter la dynamique de campagne sur ces terres.
" Dans le Sud, l’électorat frontiste est composé d’artisans, de commerçants sensibles aux lignes libérales. "
"Un parti, ça avance avec un flotteur gauche et un flotteur droit. Marion Maréchal-Le Pen était le droit", a regretté son suppléant à l’Assemblée nationale, Hervé de Lépinau, invité mercredi de Sud Radio. Un déséquilibre qui pourrait se payer aux élections législatives. "Dans le Sud, l’électorat frontiste est composé d’artisans, de commerçants sensibles aux lignes libérales", rappelait au JDD l’historienne du Front national Valérie Igounet.
Le départ d’une des figures les plus connues laisse aussi un vide auprès de candidats investis moins ancrés localement. A l’image de Jean-Lin Lacapelle, conseiller régional de Paris et en charge des fédérations frontistes, parachuté à Vitrolles dans la 12è circonscription des Bouches-du-Rhône. Ou encore de Jérôme Rivière, ancien député pour l'UMP, de 2002 à 2007 dans la circonscription des Alpes-Maritimes, recruté par le FN fin 2016 pour briguer un siège dans le Var, dans la circonscription de Brignoles. Dans ces deux circonscriptions cependant, les deux candidats pourront espérer capitaliser sur les bons scores dimanche de Marine Le Pen.
Une ligne à clarifier
Malgré son absence, Marion Maréchal-Le Pen risque de peser lourd dans les débats du parti. Pour autant, rien ne devrait être clarifié avant le scrutin intermédiaire. "Personne ne va bouger avant le deuxième tour des législatives", assure un soutien de la benjamine de l’Assemblée, cité dans Le Monde. Voire même jusqu’au congrès, prévu cet automne. Un trouble qui laisse certains cadres dans l’amertume, alors que Marine Le Pen a annoncé dimanche une "transformation profonde" du parti en une "nouvelle force politique".
"J'ai peur que le changement de nom maquille le non changement en interne", confiait dans la foulée un patron de fédération FN à l’AFP. Alors qu’une commission d’investiture s’est déroulée mardi dans une ambiance houleuse, beaucoup de frontistes attendent de cette réforme une réconciliation avec l’identité droitière du FN, rapporte Libération.
" J'ai peur que le changement de nom maquille le non changement en interne. "
Un courant majoritaire dans leurs rangs malgré le départ de Marion Maréchal Le Pen, a rappelé sur Twitter Pierre Cheynet, membre du Comité central frontiste. "Elle est arrivée en tête au congrès de Lyon en 2014. Qu’en a-t-on fait ?" Lors de cet épisode de renouvellement du comité central, la députée était arrivée en tête des votes internes, devançant largement Florian Philippot arrivé quatrième.
#Marion a pris une décision triste mais courageuse. Elle est arrivée en tête au congrès de Lyon en 2014. Qu'en a-t-on fait ?
— Pierre Cheynet (@pierrecheynet) 9 mai 2017
Un scrutin (encore) trop incertain
En tête au premier tour de la présidentielle dans 216 circonscriptions (sur 577) et dans 45 circonscriptions au deuxième, le FN peut tout de même espérer remporter plusieurs scrutins locaux. Le parti frontiste dépasse d’ailleurs les 55% des voix dans 13 circonscriptions, laissant augurer la possibilité d’un groupe parlementaire à l’Assemblée, en cas d’élection de 15 députés. Mais la logique du vote aux législatives ne peut pas non plus se calquer sur celle de la présidentielle. En partie porté par le vote protestataire, l’électorat frontiste se mobilise moins pour élire ses députés, rappelle L’Opinion.
Incertain, le scrutin l’est tout autant en ce qui concerne l’alliance avec Debout la France, le parti de Nicolas Dupont-Aignan rallié à Marine Le Pen dans l’entre-deux-tours. Selon le JDD, chaque mouvement pourrait s’engager à ne pas présenter de candidats concurrents dans 50 circonscriptions. A ce jour, rien n’est cependant acté. Dimanche, après la publication des premiers résultats, le député de l’Essonne a assuré sur France 2 son intention de présenter des candidats "dans toutes les circonscriptions de France aux législatives".
Des cadres en difficulté
Enfin, si Marine Le Pen a toutes les chances d’être élue en cas de candidature dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais, qui comprend son fief de Hénin-Beaumont, d’autres ténors ont plus de soucis à se faire. Secrétaire général du FN et directeur de campagne pour ces législatives, Nicolas Bay pourrait être parachuté dans l’Eure pour tenter de ravir le siège du député sortant Bruno Le Maire - aujourd’hui "macro-compatible". Une circonscription loin d’être gagnée d’avance. Au premier tour, Marine Le Pen n’y a récolté qu’un peu moins de 30% des voix, sans parvenir à s’imposer au second dimanche.
Le scénario risque aussi d’être difficile pour Florian Philippot dans la sixième circonscription de Moselle, à Forbach, où il avait déjà échoué face au PS aux législatives de 2012. Si Marine Le Pen y a enregistré un bon score au premier tour (33,68%), elle s’est là aussi confrontée au plafond de verre au second, s’inclinant face à Emmanuel Macron. Le vice-président du parti sait d'ailleurs qu’il joue gros dans la bataille. Sous le feu des critiques, Florian Philippot risque de les alimenter davantage s’il ne parvient pas à s’ancrer électoralement.