La tension monte d’un cran entre les juges et Eric Dupond-Moretti. Depuis plusieurs jours, des magistrats de toute la France dénoncent la politique menée par le ministre de la Justice, dont l’ouverture contestée d’une enquête visant trois procureurs du parquet national financier (PNF). Les deux plus hauts magistrats de France, Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation, et François Molins, procureur général près la Cour de cassation, sont à leur tour montés au créneau mardi dans une tribune publiée par Le Monde. "Les magistrats sont aujourd'hui légitimement inquiets de la situation inédite dans laquelle l'institution se trouve depuis que le Garde des Sceaux (...) a saisi l'Inspection générale de la justice d'une enquête administrative contre trois magistrats du PNF chargés d'une procédure qui l'avait concerné", ont écrit les deux hauts magistrats.
Ils disent "regretter l’atteinte portée" à la présomption d’innocence
Le torchon brûle entre le ministre de la Justice et les magistrats depuis que le premier a demandé une enquête sur des procureurs du PNF, mis en cause pour avoir épluché en 2014 les relevés téléphoniques détaillés ("fadettes") de ténors du barreau, dont Eric Dupond-Moretti. Cette mesure avait été ordonnée par le PNF pour tenter d'identifier la "taupe" qui aurait pu informer Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog, ami de l'actuel garde des Sceaux, qu'ils étaient sur écoute dans une enquête pour des soupçons de corruption d'un magistrat.
"Nous ne pouvons que regretter l'atteinte portée au principe de présomption d'innocence des magistrats concernés, cités nommément dans un communiqué de presse publié le 18 septembre, avant même le début des investigations", ont souligné Chantal Arens et François Molins. "Que ceux qui critiquent continuent de critiquer. Que ceux qui chroniquent continuent de chroniquer. Moi je travaille, c'est tout ce que j'ai à dire", a réagi Eric Dupond-Moretti, en marge de la présentation du projet de budget de son ministère. "Ce que tel ou tel peut écrire dans tel ou tel canard, dans telle ou telle chronique ou sur tel ou tel plateau de télévision, ça ne m'intéresse pas, ça ne m'intéresse plus", a-t-il insisté.
Les magistrats en appellent à Emmanuel Macron
La semaine dernière, plusieurs centaines de magistrats s’étaient rassemblés dans toute la France, notamment à Bordeaux, Marseille ou Lille, pour dénoncer la politique d’Eric Dupond-Moretti. Les juges n’ont également pas digéré les déclarations du Garde des Sceaux sur "la culture de l'entre-soi" à l'Ecole nationale de la magistrature (ENM). Sa décision de choisir pour la première fois une avocate pour diriger l’ENM avait déjà suscité une levée de boucliers au sein de la profession.
Dernier épisode en date de cette guerre ouverte : les magistrats de plusieurs tribunaux ont appelé lundi Emmanuel Macron à "agir" pour faire respecter "l'indépendance de l'autorité judiciaire". Des motions ont été adoptées dans plusieurs tribunaux, dont Metz et Nantes, faisant écho à des démarches similaires engagées ces derniers jours à Marseille, Mulhouse, Grenoble, Clermont-Ferrand ou Agen.