Hollande qui évoque un "petit de Gaulle", "la graisse dégouline sous sa chemise" lâché par Sarkozy...Les attaques sur le physique prolifèrent dans la classe politique. Le révélateur d’une évolution de la société, mais des propos politiquement risqués.
"On a dit : pas le physique". L’adage populaire, censé présider à un débat serein et sans bassesse, ne semble plus avoir cours en politique. Ces derniers jours, les attaques sur le physique des adversaires (voire sur celui des personnalités du même camp) ont surgi dans la chronique politique. Parfois sans la volonté de ceux qui les profèrent, comme Nicolas Sarkozy, victime des enregistrements et du livre de Patrick Buisson, et qui n’a pas de mots assez durs pour François Hollande. L’ancien président trouverait ainsi l’actuel "immonde. Ses cheveux sont mal teints, il a l’air d’un ministre chinois. La graisse dégouline sous sa chemise, et, en dessous, il a des petites jambes d’enfant". Il aurait aussi déclaré que Gérard Larcher, le président du Sénat, était "trop laid" pour devenir ministre.
Parfois en revanche, le message est passé à dessein. C’est sans doute le cas de celui adressé par François Hollande au sujet de Nicolas Sarkozy dans le livre Un président ne devrait pas dire ça…, à paraître jeudi en librairie. "C’est le petit de Gaulle. On a eu Napoléon le petit, eh bien là, ce serait de Gaulle le petit", a déclaré le président de la République aux journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme. Il y a certes une référence littéraire limpide (Napoléon Le Petit, de Victor Hugo), mais toute référence à la taille s’agissant de Nicolas Sarkozy n’est jamais innocente. Le chef de l'Etat qualifie aussi dans l'ouvrage Nadine Morano de "Le Pen en plus maigre".
Volontairement rendues publiques ou non, ces saillies en disent en tout cas long sur l’évolution des hommes politiques, mais aussi du débat public.
- Le physique est devenu omniprésent
"Les hommes politiques se sont adaptés à l’évolution de notre société du spectacle et de la représentation, plus que des idées", regrette Jean-Pierre Friedman, auteur de Du Pouvoir et des Hommes (ed. Michalon). "Les gens lambdas aussi ont tendance à voter pour untel parce qu’il est mignon, ou à ne pas voter pour l’autre parce qu’il a une ‘sale gueule’. Alors les hommes politiques sont poussés par tous les spin-doctors à travailler leur physique, et ce qui était un élément secondaire est devenu un élément sinon essentiel du moins extrêmement important", insiste le psychanalyste.
Le développement du tout-image n’est pas pour rien dans cette évolution. "A partir du moment où la médiatisation est si grande, où on met en scène les politiques sur leur coiffure, sur leur cravate de travers, à partir du moment où la télévision exacerbe tout cela, avec une prolifération des images et l’omniprésence des réseaux sociaux, le physique prend une importance capitale", explique Gérard Miller, psychanalyste, auteur du documentaire Sarkozy, l’homme qui courait plus vite que son ombre. "Ça les influence forcément un peu", abonde Arnaud Mercier, professeur de communication politique à l’Institut français de presse. "La violence des propos trouve un écho beaucoup plus fort avec le développement du numérique. Et c’est vrai qu’il y a une tentation plus forte du personnel politique."
- Taper là où ça fait mal
Et quand il y a des attaques physiques, elles sont rarement portées au hasard. La taille de Nicolas Sarkozy, l’embonpoint de François Hollande, voilà deux grands classiques. "Les hommes politiques, quand ils taclent le physique de leur adversaire, s’appuient sur des discours sociaux, des stéréotypes, des lignes d’attaque qui circulent déjà", confirme Arnaud Mercier. Elles ne sont pas pour autant efficaces dans leur volonté de blesser. "Il y a bien quelque chose de l’âme de quelqu’un sur son physique. On essaye de toucher l’autre dans ce qu’il est en tant qu’être humain", analyse Gérard Miller. "Mais à chaque fois qu’on cherche une signification sur le physique de quelqu’un, on se trompe souvent", prévient le psychanalyste. "On est là dans le registre classique de l’injure, qui est toujours un mot final, qui ferme le dialogue. On considère qu’elle peut suffire. Or, l’injure est le trognon du dialogue, de la confrontation des idées", juge le réalisateur de Ségolène Royal, la femme qui n’était pas un homme.
- Gare au dérapage
Cela dit, les attaques au physique ne sont jamais lancées en public, en meeting ou en interview. "Ils font passer leur message à travers les médias", sourit Jean-Pierre Frideman. N’empêche, pour Gérard Miller, cela relativise la portée des attaques. "Dans le privé, il y a beaucoup de choses tolérables, parfois dites sous le coup de la colère, qui ne passeraient jamais en public", estime le psychanalyste. "Chacun de nous a dit des choses à ses amis qu’il ne répéterait jamais face à une audience plus large". Le risque de se lâcher en public est grand, aussi. "Ça passerait mal", confirme Arnaud Mercier. "Souvenons-nous de Lionel Jospin, qui avait décrit lors de la campagne présidentielle en 21002 un Jacques Chirac, ‘usé, vieilli, fatigué’. Cela lui avait coûté cher. Les politiques ont tout intérêt à faire attention à ce qu’ils disent sur ce point", prévient l’universitaire.