Plusieurs responsables politiques deviennent chroniqueurs d’émissions de télévision à la rentrée. Parfois critiqué, souvent risqué, ce choix est loin d’être anodin pour les intéressés.
Vous connaissez déjà leur visage, mais vous allez les découvrir sous un nouveau jour. À la rentrée, Jean-Pierre Raffarin, Raquel Garrido, Sébastien Pietrasanta ou encore Julien Dray ne seront plus seulement des personnalités politiques, toujours en activité ou non. Sur France 2, C8, BFM TV ou LCI, ils officieront désormais comme chroniqueurs, consultants ou éditorialistes à part entière.
Bachelot, la pionnière. "Le phénomène est relativement récent, notamment avec un renouvellement important de la classe politique. Ceux qui sont concernés sont d’abord ceux qui ont connu des échecs", constate François Jost, professeur émérite à la Sorbonne Nouvelle III en sciences de l’information et de la communication. Roselyne Bachelot n’a pas attendu de perdre une élection pour rallier le monde du petit écran. Il y a cinq ans, l’ancienne ministre de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy décidé d’intégrer la bande du "Grand 8" sur D8 (l’ancien nom de C8) à la rentrée 2012. "Beaucoup de gens ont douté du fait que j’avais quitté la vie politique, j’avais même indiqué au CSA que je n’étais plus militante UMP", nous rappelle-t-elle aujourd’hui, presque en pionnière. Quatre saisons sur C8 et une année à la tête d’une émission sur RMC plus tard, elle se sent bien "de l’autre côté de la barrière", au point de poursuivre l’aventure sur LCI avec un nouveau talk-show d’information de 10h à midi, avec Julien Arnaud.
" On peut avoir une méga chaîne YouTube et dénoncer Google qui rechigne à payer des impôts "
Garrido au centre des critiques. A la rentrée, Roselyne Bachelot sera rejointe sur la chaîne de la TNT par Julien Dray, porte-parole du PS et futur chroniqueur d’une émission politique hebdomadaire, à titre bénévole. "Je ne suis pas chroniqueur, je vais faire un débat le mercredi, qui je précise, sera non-rémunéré", expliquait-il début août. De son côté, Raquel Garrido tiendra un édito politique dominical, associé à un reportage vidéo, dans "Les Terriens du dimanche", présentée par Thierry Ardisson sur C8. La porte-parole de La France insoumise a décidé d’ignorer les nombreuses critiques qui lui reprochent d’aller faire une chronique rémunérée sur une chaîne détenue par le milliardaire Vincent Bolloré, honni des amis de Jean-Luc Mélenchon. Rien de contradictoire, selon elle : "On peut avoir une méga chaîne YouTube et dénoncer Google qui rechigne à payer des impôts. On peut répondre aux invitations de BFM, TF1 ou CNews et défendre un programme politique qui libérera les médias des forces de l'argent", se défend-elle auprès d’Europe1.fr.
Entre les lignes, Raquel Garrido revendique même une part d’entrisme dans sa démarche : "En fait, les chaînes publiques et privées ont intérêt à donner la parole - entre deux publicités - à des Insoumis car ils représentent 20% des électeurs et une certaine culture politique, qui est désormais implantée dans le pays. Nous ne sommes pas dupes. Mais nous aurions tort de nous autocensurer. Il faut rayonner pour convaincre davantage et passer de 20 à 50% !".
Confusion des rôles ? À ce jour, Raquel Garrido ne compte pas mettre un terme à son activité militante pour se consacrer uniquement à ses chroniques sur C8. Certains voient dans ce choix une volonté de "passer à la télé" pour rester visible et se placer en vue de futures échéances. Ce qui laisse Roselyne Bachelot sceptique : "Il faut vraiment avoir quitté la vie politique pour que la mayonnaise prenne, c’est une condition sine qua non. Si c’est juste une parenthèse, les personnes que vous avez en face de vous ne savent pas si elles s’adressent à un chroniqueur ou à un militant. La confusion des rôles est un risque réel." Sur la fond, mais aussi sur la forme, la présence d’un membre d’un parti politique comme Raquel Garrido sur C8 pourrait poser problème. "Quel sera son rôle ? Si elle vient faire la publicité pour les Insoumis, ce sera un problème et le CSA pourrait s’en mêler en raison de signalements. Sinon, ce pourrait être simplement considéré comme un moyen de gagner de l’argent", analyse le sociologue des médias François Jost.
Un "léger biais" mais du "savoir". Un problème que n’aura pas Sébastien Pietrasanta : l’ancien député PS a décidé de quitter la vie politique au terme de son mandat, en juin. Depuis, le rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats du 13-Novembre a conservé le même champ d’action en troquant son costume de parlementaire pour celui de consultant en terrorisme sur BFM TV. Les deux faces d’une même pièce ? "Ça ne me faisait pas peur de passer de franchir le pas, car j’avais déjà l’habitude d’intervenir sur leur chaîne lorsque j’étais député. Il fallait déjà prendre du recul et éviter le petit jeu politicien. Le terrorisme, c’est un sujet hyper transpartisan", assure-t-il à Europe1.fr. "Il peut avoir un léger biais lié à son passé, mais il apporte son savoir et la connaissance de sujets techniques plutôt que son opinion", précise Céline Pigalle, directrice de la rédaction de BFM TV, qui l’a recruté, ajoutant que le consultant sera rémunéré, contrairement à d’autres experts que l’on peut voir habituellement sur la chaîne. Celui qui a créé sa société de conseil au mois de juin assure que la transition s’est faite naturellement vers une activité "où tout l’enjeu, c’est la disponibilité". Et qui a l’avantage d’être une sacrée vitrine pour sa nouvelle vie dans le privé : "Ce n’est pas non plus inutile pour moi, il y a un côté 'vu à la télé'. Mais j’avais mes premiers clients avant de commencer à BFM au mois d’août."
" Il faut un certain talent pour passer de l’autre côté. Vous avez beau avoir été interviewé dans toutes les matinales de France, vous ne serez pas forcément un bon intervieweur "
Pas que des réussites. Pour l’instant, Sébastien Pietrasanta se réjouit de vivre une "nouvelle aventure hyper intéressante" et la direction de BFM TV se félicite d’avoir recruté un profil capable de "mettre en perspective" les informations de ses journalistes. Mais tous les passages de la politique aux médias ne se montrent pas concluants. Retour en arrière : Jeannette Bougrab intègre la bande de chroniqueurs du Grand journal à la rentrée 2013. Discrète, pas vraiment dans le ton, l’ancienne secrétaire d’Etat de Nicolas Sarkozy tiendra à peine quatre mois aux côtés d’Antoine de Caunes avant de disparaître de l’ancien rendez-vous phare de Canal+. "J'étais nulle au 'Grand Journal', ce n’était pas fait pour moi. Il faut assumer ses échecs", déclare-t-elle dans l’émission "C à vous" sur France 5 en mai 2015, reconvertie en diplomate culturelle à l’ambassade de France en Finlande. "Il faut un certain talent pour passer de l’autre côté. Vous avez beau avoir été interviewé dans toutes les matinales de France, vous ne serez pas forcément un bon intervieweur. Dans ce domaine, quelqu’un qui n’aurait jamais travaillé son écriture serait en difficulté. Ce serait aussi le cas avec un groupie de la politique dépourvu de rapport distancié avec son ancien monde", insiste Roselyne Bachelot, exemple de reconversion réussie selon François Jost. "Elle s’est imposée comme un personnage amusant, qui a de la culture. C’est une bonne cliente, qui prend un plaisir énorme. Ça plait aux gens", indique le directeur de la revue Télévisions, aux éditions du CNRS.
Brouillage des frontières. Reconversions réussies ou non, la frontière entre politiques et médias ne risque-t-elle pas finalement de se brouiller davantage, au point de renforcer la défiance des citoyens envers les élites ? François Jost est partagé : "Henri Guaino (sur Sud Radio à la rentrée) ou Julien Dray dans une émission politique, cela ne choque pas. Idem pour Cohn-Bendit (qui officie sur Europe 1 depuis 2013). Mais dans une émission qui n’est pas politique, c’est plus compliqué. À terme, les politiques qui se prêtent au divertissement dévalorisent leurs fonctions."