Depuis 24 heures, François Fillon est empêtré dans l’affaire dite du "Penelope Gate". Mercredi, le Canard Enchaîné révélait que son épouse avait été employée pendant plusieurs années comme son assistante parlementaire, puis comme celle de son suppléant, à l’Assemblée nationale, pour une rémunération totale de 500.000 euros brut. Le tout pour un travail réel qui pose questions. Les soutiens du candidat de la droite, et l’ancien Premier ministre lui-même, sont rapidement montés au créneau pour étendre le feu, mais ils n’ont fait que nourrir le foyer. Et au final, l’incendie s’annonce ravageur. Décryptage des gros ratés de cette communication de crise, avec Philippe Moreau-Chevrolet, communicant et président de MCBG Conseil.
- La stratégie du contre-feu
Cela a été la réaction instinctive de François Fillon. Avec un angle d’attaque surprenant. "Je suis scandalisé par le mépris et par la misogynie de cet article", s’est emporté le candidat en marge d’un déplacement à Bordeaux. "Alors, parce que c'est mon épouse, elle n'aurait pas le droit de travailler ? Imaginez un seul instant qu'un homme politique dise qu'une femme, comme le dit cet article, ne sait faire que des confitures. Toutes les féministes hurleraient !" Or à aucun moment l’article du Canard Enchaîné ne conteste le droit de Penelope Fillon de travailler. C’est la réalité même de son travail d’assistante parlementaire qui est interrogé par l’hebdomadaire.
L’avis de Philippe Moreau-Chevrolet :
"C’est l’erreur initiale. D’abord parce qu’on voit tout de suite que c’est une diversion, ensuite parce que ce n’est pas cohérent avec la personnalité même de François Fillon, qui n’est pas féministe."
- La victimisation
C’est l’autre réaction immédiate : se dire victime d’une cabale. "Je vois que la séquence des boules puantes est ouverte. Je ne ferai pas de commentaires parce qu'il n'y a rien à commenter", a réagi François Fillon. Bruno Retailleau, l’un de ses proches, a embrayé sur Europe 1. "Ça relève évidemment d'officines qui sont très informées, qui sont actives", a jugé le sénateur de Vendée. "Officines", terme qui entre dans le champ lexical du complot. Le mot n’est évidemment pas lâché au hasard.
Je vois que la séquence des boules puantes est ouverte. Je suis scandalisé par le mépris et la misogynie de cet article. pic.twitter.com/ve7AAHT5cS
— François Fillon (@FrancoisFillon) 25 janvier 2017
Mêmes réactions outrées après l’annonce de l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet financier de Paris. Cette fois, ce sont les soutiens de l’ancien Premier ministre qui s’en mêlent. "Je n’ai jamais vu le parquet se saisir aussi rapidement d’une affaire à la sortie d’un journal", s’est étonnée Valérie Pécresse sur RTL.
"Un article de presse paraît le matin. Quelques heures après, le parquet s'en saisit. Citez-moi une seule affaire où il y a eu une telle rapidité", a renchéri Bruno Retailleau. Non sans que Thomas Sotto lui oppose l’affaire des Footleaks ou des Panama Papers. Enfin, Benoist Apparu a fait un parallèle hasardeux. "Entre le premier article et la saisie du Parquet financier de Paris, pour l'affaire Cahuzac, il a fallu trois mois. Là, il a fallu trois heures", fait remrquer le porte-parole du candidat, qui, comme le relève Le Lab d’Europe 1, oublie que quand l’existence d’un compte à l’étranger de l’ex-ministre du Budget a été révélée, le parquet financier n’existait pas.
L’avis de Philippe Moreau-Chevrolet :
"Il s’est montré très agressif au départ, alors qu’il est mis en cause. Ça donne le sentiment qu’il est peut-être coupable, qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Tout cela est très vieux jeu, on a l’impression d’une com’ "à la papa", et ça risque de détruire son image, petit à petit. Il se transforme en Nicolas Sarkozy, avec exactement la même façon de faire : Réaction violente, diversion, victimisation."
- La multiplication des justifications contradictoires
Pour défendre Penelope Fillon, ça a été un festival de contradictions, de justifications confuses, de sorties manquées. Ainsi Bernard Accoyer a affirmé avoir beaucoup vu Penelope Fillon à l’Assemblée, quand d’autres, tels Bruno Retailleau ou Florence Portelli, ont argué qu’elle était le relais de son mari dans la Sarthe.
Quant à Thierry Solère, il explique les fonctions de l’épouse de François Fillon par… son ancrage local. "Ça fait 30 ans que François Fillon a commencé sa carrière politique à Sablé[-sur-Sarthe], il a été maire puis parlementaire. (…) Et madame Fillon, de toute évidence, elle accompagne son mari dans la vie publique. La meilleure preuve de tout ça, c'est qu’elle est elle-même aujourd'hui élue de cette circonscription de la Sarthe", a expliqué sur RMC le porte-parole du candidat, qui s’est empêtré un peu plus en évoquant… Bernadette Chirac. "Elle a toujours été le lien de Jacques Chirac avec la Corrèze, elle en a été l'élue, à part que madame Fillon, vous l'avez moins vue, parce que son tempérament, c'est la discrétion." Sauf qu’aux dernières nouvelles, l’ancienne Première dame n’a jamais été assistante parlementaire. "Bah d'abord j'en sais rien, d'abord j'en sais rien", a répondu un Thierry Solère en difficulté.
Mais la palme de la justification la plus embarrassée revient sans doute à Valérie Boyer, une proche de longue date de François Fillon. Sur France 5 mercredi soir, elle a admis avoir elle-même employée son fils comme assistant parlementaire "mais il y a très longtemps". Et de poursuivre, de plus en plus confuse : "Mais pour des activités réalisées". Quand des gens ont des compétences… euh… des engagements… euh des diplômes, et qu'ils font un travail réalisé, il n'y a rien d'illégal. A un moment donné, si c'est interdit, c'est le cas d'ailleurs au Parlement européen, pourquoi pas ? Et je crois que de toutes façons c'est ce qu'il va se passer.
La défense calamiteuse de Valérie Boyer à...par LeLab_E1
L’avis de Philippe Moreau-Chevrolet :
"Il y a trop de porte-paroles. On envoie n’importe qui dans les médias avec des messages pas encore coordonnés. Et la moindre des choses, c’est de ne pas envoyer des personnes qui sont elles-mêmes concernées, comme Valérie Boyer. Il faut qu’il en tire les conséquences pour sa campagne, qu’il ait moins de porte-parole, déjà. Pour l’instant, il n’est pas au niveau d’un candidat à la présidentielle. Les bons réflexes ne sont pas acquis. Son équipe n’a pas anticipé la crise. On est dans une campagne présidentielle, d’autres dossiers vont sortir. Ce n’est que le début, et manifestement, ils ne sont pas préparés."
- Changer de ligne de défense
Par un communiqué diffusé mercredi soir, François Fillon a changé de braquet. "Cette décision (d’ouvrir une enquête) particulièrement rapide permettra de faire taire cette campagne de calomnie et de mettre un terme à ces accusations dénuées de tout fondement", écrit l'ancien Premier ministre. "Je souhaite, pour rétablir la vérité, être reçu au parquet national financier dans les plus brefs délais." "Quand les bureaux seront ouverts, l'avocat de François Fillon se déplacera avec un certain nombre de pièces", a précisé Bruno Retailleau sur Europe 1. Et jeudi soir, il sera présent au 20-Heures de TF1 pour s’expliquer.
L’avis de Philippe Moreau-Chevrolet :
"C’est ce qu’il aurait dû faire d’emblée, expliquer que c’est une pratique largement partagée à l’Assemblée nationale, qui n’a rien d’illégal. Rester calme, expliquer, formuler des excuses si besoin, voire assurer que son épouse allait rembourser intégralement l’Assemblée nationale. Maintenant, il va en rajouter dans la bonne foi. Et le passage au 20-Heures de TF1 n’est finalement qu’une conséquence de cette mauvaise gestion. Ça va magnifier le problème. On va avoir l’impression d’un homme vaguement coupable, contraint de s’expliquer. C’est désastreux. La gestion de cette crise a été ratée de bout en bout."