On ne peut pas reprocher à Manuel Valls d'avoir fait les choses en douce. Devant les sénateurs, vendredi dernier, il avait admis sans complexe que son projet de loi plaçant la France sous le régime de l'état d'urgence pour trois mois n'était probablement pas conforme à la Constitution. "Il y a des mesures qui ont été votées à l'Assemblée nationale (…) qui ont une fragilité constitutionnelle", avait-il reconnu.
Un bracelet électronique qui fait débat. Le premier ministre a directement fait allusion à l'une d'elles, qui autorise la mise sous bracelet électronique d'un individu condamné pour terrorisme et ayant purgé sa peine depuis moins de huit ans. Un tel dispositif contrevient au principe de la non-rétroactivité des peines, qui prévaut en droit français, et constitue une atteinte aux libertés. En 2005, lorsque le ministre de la Justice (UMP) Pascal Clément avait tenté de défendre, dans une loi anti-récidive, la rétroactivité du port du bracelet électronique pour les délinquants sexuels, sa proposition avait d'ailleurs suscité un véritable tollé.
Dissolution des associations. Autre disposition constitutionnellement fragile, la possibilité d'une dissolution administrative des associations qui faciliteraient des actes portant atteinte à l'ordre public. Une acception très large, qui pourrait, par exemple, provoquer la dissolution d'Europe écologie-Les Verts après une manifestation contre le projet de Notre-Dame-des-Landes.
Une saisine des Sages peu probable. Si le Conseil constitutionnel était saisi, il aurait donc des raisons de déclarer l'état d'urgence non conforme à la Constitution et/ou à d'autres textes comme la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Mais une saisine reste hautement improbable : il faut que 60 parlementaires en fassent la demande. Or, droite et gauche ont voté à une écrasante majorité un projet de loi qu'ils jugent justifié par l'urgence de la situation. Et Manuel Valls l'a bien compris. "Je suis extrêmement dubitatif sur l’idée de saisir le Conseil constitutionnel, a-t-il prévenu devant les sénateurs vendredi dernier. Je souhaite que nous allions vite sur la mise en œuvre des dispositifs. Si le Conseil répondait que la loi révisée est inconstitutionnelle sur un certain nombre de points, sur un certain nombre de garanties apportées, cela peut faire tomber 786 perquisitions et 150 assignations à résidence déjà faites."
Vers un dépôt de QPC ? Reste la possibilité du dépôt d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), par un individu poursuivi dans le cadre de l'état d'urgence. Mais son examen prendrait trois mois minimum et n'entraînerait, pendant ce délai, aucune suspension des mesures problématiques. Cependant, une QPC ne manquerait pas de provoquer un débat politique embarrassant pour l'exécutif, alors que celui-ci compte procéder à une révision rapide de la Constitution.