Ils se sont affronté toute la semaine par manifs et médias interposés. Mais du côté de la CGT comme du gouvernement le refrain est le même : "on ne lâche rien". L’organisation syndicale exige le retrait pur et simple du projet de loi Travail, l’exécutif exclut lui catégoriquement tout recul et fait bloc. Avec la multiplication des manifs, des grèves et des blocages, cette stratégie du pourrissement peut-elle déboucher sur une sortie de crise ? C’est en tout cas le pari du gouvernement.
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Le pays n’est pas bloqué. Voici le premier argument brandi par les socialistes. Non, le pays n’est pas à l’arrêt. "Sur mon territoire, c’est 60 personnes qui bloquent", assure auprès d'Europe 1 le rapporteur de la loi Travail, le député de Saône-et-Loire, Christophe Sirugue. "Il y a certes un climat difficile et nauséabond mais le pays continue de tourner", renchérit le député socialiste de l’Essonne, proche de Manuel Valls, Carlos Da Silva. "Ce n’est ni mai 68 ni 1995, on peut circuler mais on en est à la 8e journée de mobilisation et on ne peut pas dire que tout va bien", nuance Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et au Cevipof. Pour ce dernier, "il n’y a pas d’effondrement du mouvement".
Garder la main tendue et appeler à la responsabilité… Les socialistes cherchent dans le même à montrer qu’ils sont toujours dans le dialogue. Si la loi Travail doit passer, "ça n’empêche pas des discussions pour encore améliorer le texte", explique à Europe 1 Pascal Popelin, député socialiste de Seine-Saint-Denis. "Il y a une capacité à trouver une sortie de crise si on veut bien discuter", veut croire Christophe Sirugue. Il s’agit aussi d’appeler à la responsabilité, voire à la raison les responsables syndicaux. "Je suis pour le droit de grève mais comme disait Maurice Thorez (ancien secrétaire général du Parti Communiste, ndlr.), 'il faut savoir arrêter une grève'", clame Pascal Popelin. "Chacun doit prendre ses responsabilités", complète Christophe Sirugue.
…Tout en décrédibilisant la CGT. Pour tenir face à la CGT, le gouvernement et la majorité ont décidé d’y aller franco. "Doit-on accepter la dictature des petites minorités ?", interroge Pascal Popelin. Carlos Da Silva rappelle lui que "numériquement", la CGT c’est plus trop ce que c’était : "Il y a un rétrécissement du mouvement avec un durcissement". "Ça fait un petit moment qu’ils ne sont plus sur le texte, je n’ai aucun échange avec eux", confie Christophe Sirugue. Manuel Valls a été encore plus catégorique jeudi à l'Assemblée. "La CGT ne fait pas la loi dans ce pays", a martelé le Premier ministre.
Pour le chercheur Bruno Cautrès, "le Premier ministre est dans son rôle lorsqu'il tape sur la CGT en disant qu’ils sont fous. C’est évidemment une stratégie de communication".
"Il faut tenir". Face à la détermination de la CGT et des manifestants, quelle marge de manœuvre le gouvernement a-t-il ? Pas beaucoup, à en croire les députés socialistes. "Mon sentiment à moi est qu’il faut tenir", avoue Carlos Da Silva. "Je tiendrai bon parce que c’est la bonne réforme", disait d'ailleurs François Hollande vendredi matin. Car tous ont conscience que le quinquennat va se jouer aussi là-dessus. Selon le député de l’Essonne, "c’est la crédibilité à agir du président de la République qui est en jeu".
Bruno Cautrès ne dit pas autre chose. "Le gouvernement ne peut pas reculer, le Premier ministre et le président n’ont pas de cartouche de rechange. Ce texte intervient après l’échec de la déchéance de nationalité, si Hollande recule une fois de plus, l’opinion ne retiendrait que cela". Pour le chercheur, tout est à replacer dans le contexte de 2017. François Hollande a ici un début de storytelling à raconter à ses électeurs. "Il a la possibilité d’avoir un discours articulé pour 2017, en se présentant comme un réformateur qui a le courage de s’attaquer à des tabous de son propre camp".
Quels peuvent être alors les différents scénarii pour les semaines à venir? Les socialistes choisissent eux de parier sur un retournement de l’opinion en leur faveur. C’est ce que pense notamment Pascal Popelin. Le chercheur du Cevipof penche lui aussi pour cette option avec une opinion qui en aurait marre des blocages. Mais il évoque aussi un essoufflement du mouvement ou encore une astuce que trouverait le gouvernement pour isoler la CGT, en l’obligeant « à assumer le rôle du vilain ». Mais, il reste aussi la grande inconnue pour François Hollande et la plus dangereuse aussi : sera-t-il obligé de dégainer à nouveau le 49.3 pour faire passer la loi Travail en deuxième lecture ? Et dans le pire des scénarii, affronter une motion de censure de la gauche ?