Emmanuel Macron va-t-il venir à bout des "fake news" ? C’est en tout cas son ambition avec l’arrivée d’une proposition de loi du groupe LREM en séance publique à l’Assemblée nationale. Les députés discuteront jeudi de deux textes destinés à lutter contre "les manipulations de l'information" - le texte a été réécrit et rebaptisé ainsi en commission - en période électorale.
Mais si La République en marche soutient sans faille cette volonté de légiférer contre les fausses nouvelles qui ont en partie pollué la fin de campagne présidentielle du candidat Macron, les autres partis fustigent une "dérive dangereuse" contre la démocratie. Les observateurs déplorent par ailleurs une loi potentiellement liberticide au service d’une ambition douteuse.
Une définition trop vague ?
C’est le premier argument des "anti" : comment définir précisément les "fake news", ces fausses informations qui imposeraient un changement de loi ? Pour l’Assemblée nationale, il s’agit de "toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable". Trois critères cumulatifs devront nécessairement être réunis pour que le juge des référés soit saisi :
- que le caractère de fausse information soit établi
- que sa diffusion soit artificielle ou automatisée
- que sa diffusion soit massive
De nombreuses critiques se sont portées sur la délimitation de ce qu’était une fausse information : comment différencier rapidement et sans aucun doute possible ce qui relève d’un contenu erroné diffusé sans intention de nuire d’une fausse nouvelle propagée sciemment ?
Un mauvais cadrage dans le temps ?
La loi permettrait de créer une procédure judiciaire d’urgence pour empêcher la diffusion massive d’une fausse nouvelle, mais aussi de rendre plus transparente l’origine des publicités politiques sur les réseaux sociaux lors de périodes électorales. Mais pas en dehors, ce qui fait bondir le député La France insoumise Alexis Corbière : "L’argument selon lequel l’opinion des citoyens ne se forme qu’en période électorale est intolérable."
Un arsenal juridique limité ?
La menace d’une sanction et d’un blocage va-t-elle freiner la diffusion d’une fausse information par un compte ? "Il est peu probable que l’hypothétique menace d’un référé, procédure judiciaire d’urgence en période d’élections, freine la diffusion d’une fausse nouvelle, décourage ses producteurs", écrit Farid Gueham, consultant secteur public et contributeur numérique et innovation auprès de la Fondation pour l’innovation politique, dans Le Monde, mercredi. S’il était suspendu, le compte pourrait être recréé en très peu de temps sur Twitter ou Facebook et relayer de nouveau de fausses informations.
Des médias muselés ?
"Le juge ne fera œuvre de son pouvoir de retrait que s’il a la certitude que l’information est manifestement fausse, s’il n’a aucun doute sur ce point." La ministre de la Culture Françoise Nyssen, comme la rapporteure du texte Naïma Moutchou et les autres membres de la majorité, ont beau tenté de rassurer les opposants sur l’absence de poursuites possibles pour les journalistes, l’argument d’une mainmise du pouvoir sur les médias continue d’être avancé contre cette proposition de loi. "Est-ce que désormais il va y avoir une vérité officielle ? (…) Lorsque le pouvoir commence à définir la vérité, je trouve que la démocratie est quelque part en danger", estime le député LR Éric Ciotti. De la capacité de la majorité à convaincre que le texte ne vise en rien le quatrième pouvoir dépendra la perception de cette loi dans l’opinion publique.
Un volet "éducation aux médias" pas assez présent ?
Pour l’heure, la loi comporte surtout un volet répressif, entre pouvoirs renforcés du Conseil supérieur de l’audiovisuel, obligation de transparence faites aux réseaux sociaux et poursuites en urgence pour bloquer des contenus faux. Mais de plus en plus de voix s’élèvent pour étoffer le volet éducation aux médias de ce texte de loi. Des amendements devraient être déposés en ce sens, jeudi, mais leur adoption n’est pas garantie.
La loi déjà dépassée par la science ?
Et si les algorithmes étaient plus efficaces que des poursuites juridiques pour éviter que des mensonges ne se propagent ? De nombreux spécialistes misent sur un fact-checking de plus en plus réactif, réalisé en partie par des robots pour purger Internet de ces contenus. L’Inria (Institut national de recherche dédié au numérique) a par exemple développé un logiciel qui vise à passer en direct au tamis de la vérité les propos des responsables politiques, à l’aune des données disponibles en open data. Le projet a démarré en janvier 2016 et doit durer quatre ans.
Aux États-Unis, la Tech & Check Cooperative de l’université de Duke met actuellement au point un logiciel qui permet de vérifier en temps réel et de manière automatisée les déclarations des responsables politiques. Aujourd’hui en phase de bêta-test, l’application FactStream a elle proposé une analyse en direct de ce que disait Donald Trump lors du dernier discours sur l’état de l’Union.