L'annonce n'était encore qu'au stade de rumeur qu'elle échauffait déjà les esprits à l'Assemblée nationale. "Ce serait inouï", pestait le député socialiste Régis Juanico, tandis que Jean-Christophe Lagarde, élu UDI, préférait l'adjectif plus nuancé de "curieux". Finalement, Emmanuel Macron a bel et bien confirmé qu'il s'exprimerait, lundi 3 juillet, devant le Parlement réuni en Congrès, à Versailles. Une intervention faite alors que le lendemain, le 4 juillet, son Premier ministre Édouard Philippe doit prononcer son discours de politique générale à l'Assemblée nationale simultanément lu au Sénat, avant de se soumettre au vote de confiance des députés.
"Il n'y a plus de Premier ministre". En choisissant de couper la priorité de son Premier ministre, Emmanuel Macron a déclenché un tollé parmi les parlementaires de l'opposition. "Il n'y a plus de Premier ministre. [Il] est relégué dans un rôle totalement subalterne", s'est agacé Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes, sur BFM TV jeudi. "Parler avant son gouvernement, c'est l'affaiblir", a également estimé Jean-Christophe Lagarde. Pour l'élu UDI, comme pour beaucoup d'autres parlementaires, la convocation du Congrès est en contradiction avec les engagements d'Emmanuel Macron pendant sa campagne.
Jusqu'ici, un Premier ministre "fusible". Ce dernier avait en effet, à plusieurs reprises, assuré qu'il tenait à "un président qui préside et un gouvernement qui gouverne". Jusqu'ici, il avait laissé Édouard Philippe s'exprimer sur les divers sujets d'actualité, comme lorsqu'il avait fallu trancher le couac au sein du gouvernement sur les pesticides tueurs d'abeilles. Loin de se poser, comme Nicolas Sarkozy et François Hollande avant lui, en président omniprésent, il avait tenu à raréfier sa parole avec une seule intervention médiatique, une longue interview sur l'Europe dans plusieurs journaux européens, dont Le Figaro.
C'était donc le retour du Premier ministre "fusible". Un chef de gouvernement qui a des responsabilités, puisqu'il reste en première ligne, avec en contrepartie le risque d'être débarqué à tout moment en cas de difficultés politiques.
"Deux expressions complémentaires". La réunion du Congrès semble changer la donne et reléguer Édouard Philippe au second plan. Ce dont se défendent l'Élysée et Matignon. Des deux côtés, on assure que les interventions du chef de l'État et du Premier ministre se complèteront et qu'il ne s'agit pas d'un court-circuitage présidentiel. "Comme toujours, il y aura deux expressions à la fois parfaitement en ligne et en même temps complémentaires", a simplement commenté le Premier ministre mercredi, en marge d'un déplacement en Estonie.
"Une application cohérente de la Constitution". Pour Didier Maus, spécialiste du droit constitutionnel, c'est effectivement comme cela qu'il faut voir les deux interventions successives du chef de l'État et du Premier ministre. "On est dans une application parfaitement régulière, normale, et j'ajouterais cohérente de la Constitution", explique-t-il sur Europe 1. "Le président a été élu, les députés ont été élus, et on commence la semaine prochaine le vrai travail législatif. Le président va dire : 'voilà ce qu'il faut faire'."
L'universitaire rappelle d'ailleurs que François Mitterrand avait peu ou prou fait la même chose en 1981. Certes, à l'époque, la réunion du Parlement en Congrès n'existait pas. Le chef de l'État socialiste avait donc adressé un message aux députés, ce qu'il était d'usage de faire après une présidentielle. "Son texte a été lu [dans l'Hémicycle] un quart d'heure avant le discours de politique générale de Pierre Mauroy", raconte Didier Maus. "Et Pierre Mauroy avait commencé avec une référence à ce qu'avait dit François Mitterrand." Probablement ce qui devrait se passer la semaine prochaine entre Emmanuel Macron et Edouard Philippe.
"Le système est un peu déséquilibré". Il n'en reste pas moins que la manœuvre met le Président sur le devant de la scène et réduit son Premier ministre à jouer les seconds couteaux. "Mais c'est le système [de la Ve République] qui est un peu déséquilibré", explique Didier Maus. "Emmanuel Macron utilise toutes les ressources de la fonction présidentielle qui sont à sa disposition. On est sur une cohérence constitutionnelle, politique et chronologique parfaite et totalement dans l'ADN de la Ve République."
Boycott. Sous couvert de renouvellement et de recomposition politique à tous les étages, Emmanuel Macron a donc au contraire tendance, pour la fonction présidentielle du moins, à restaurer la vision première du régime politique français. Est-ce un bon calcul ? Les remous provoqués par l'annonce de ce Congrès semblent causer au président plus de difficultés qu'autre chose. Plusieurs députés ont d'ores et déjà annoncé qu'ils boycotteraient son discours : deux UDI, Philippe Vigier et Jean-Christophe Lagarde, et tout le groupe de la France Insoumise, derrière Jean-Luc Mélenchon. Quant au Parti communiste, il s'est fendu d'un communiqué pour appeler à manifester devant la mairie de Versailles le jour J.
"Le président engage surtout son autorité devant l'opinion". Pas sûr que les parlementaires soient les premiers destinataires du message d'Emmanuel Macron. Ce dernier avait d'ailleurs hésité avec une intervention au JT de 20h, preuve que c'est d'abord aux Français qu'il désire s'adresser. Lors de la révision constitutionnelle de 2008, qui avait vu l'apparition de la possibilité, pour le président de la République, de réunir le Congrès, le constitutionnaliste Guy Carcassonne estimait d'ailleurs que "la portée [de cette mesure] est faible". "Le chef de l'État engage surtout son autorité devant l'opinion." Mais si Emmanuel Macron se retrouve devant une assemblée intégralement constituée de parlementaires qui lui sont acquis, cette autorité risque d'entre prendre un coup.