Jadis camarades au sein du Parti socialiste, Manuel Valls et Jean-Luc Mélenchon semblent être devenus aujourd’hui les pires ennemis du monde. Plus ou moins ouvert ces dernières années, le conflit s’est considérablement durci ces derniers jours entre les deux hommes, quand le leader de la France insoumise a démissionné avec fracas de la mission parlementaire sur la Nouvelle-Calédonie, dont l’ancien Premier ministre a pris la tête. La tension est telle qu’insultes et accusations de complaisance avec l’islamisme radical et l’antisémitisme ont fusé.
Le point de départ : Valls fustige Obono
Le contentieux est certes ancien, puisque quand Manuel Valls était à Matignon, Jean-Luc Mélenchon était l’un de ses opposants les plus virulents. Mais c’est bien le député de l’Essonne qui a lancé la première escarmouche de cette nouvelle bataille. Le 3 octobre sur RTL, il s’en prend ainsi à la députée Danièle Obono, qui n’avait pas voulu qualifier de "radicalisé" un conducteur de bus qui avait refusé de prendre le relais d’une collègue féminine. "C’est plus que de la complaisance. C’est une complicité avec un islam politique", avait lâché Manuel Valls. Puis, au sujet de La France insoumise : "Dans leur discours, dans leurs pratiques, concernant l'islam radical, il y a de la complaisance", avait-il insisté, dénonçant "un discours islamo-gauchiste".
Riposte immédiate de Jean-Luc Mélenchon sur Twitter : "Corvée : siéger avec l’ignoble Valls à la commission Nouvelle-Calédonie. Ici, qui vient-il trahir ?".
Corvée : siéger avec l'ignoble Valls à la commission Nouvelle-Calédonie. Ici, qui vient-il trahir ?
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 3 octobre 2017
Dans l’après-midi en effet, les deux hommes doivent se côtoyer dans la mission parlementaire sur la Nouvelle-Calédonie. Mais ce que Jean-Luc Mélenchon ignore alors, c’est que c’est précisément Manuel Valls qui doit en prendre la présidence.
Le climax : les insultes de Mélenchon
Quand il l’apprend, le leader de la France insoumise bouillonne. Et c’est très remonté qu’il se rend à ladite réunion à 17 heures, dans la salle de la commission des Lois de l’Assemblée nationale. Là, c’est l’esclandre. Une phrase fait polémique : "Moi, je ne m’assieds pas à côté de ce nazi", aurait lâché Jean-Luc Mélenchon à propos de Manuel Valls selon Le Canard enchaîné. L’ex-candidat à la présidentielle dément, Manuel Valls confirme – en évoquant des témoins. C’est donc version contre version.
Je n'ai dit ni ne pense que Valls soit nazi. Il est en perdition politique.
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 12 octobre 2017
Ce qui est avéré en revanche, c’est la suite. Furieux, Jean-Luc Mélenchon s’emporte. "Tu n’es qu’un ordure ! Un pauvre type ! Une merde", lance-t-il. L’ex-Premier ministre réplique : "Mais tu es complètement fou ! Tu vas te calmer !". Intervient alors David Habib, député PS des Pyrénées-Atlantiques et proche de Manuel Valls. "Arrête ton numéro. Tu es vraiment un connard", lâche l’élu. L’échange est interrompu par l’arrivée d’autres députés, incrédules.
Mais Jean-Luc Mélenchon ne s’arrête pas là. Dans une lettre à François de Rugy annonçant sa démission de la mission parlementaire, il s’en prend encore à Manuel Valls. "On ne saurait faire choix plus inapproprié. Monsieur Valls est un personnage extrêmement clivant, qui suscite de forts rejets du fait de sa proximité avec les thèses ethnicistes de l'extrême droite", écrit-il. Il rappelle notamment ses propos sur les "white" et "blancos", saisis par une caméra en 2009, et pointe une "proximité" de l'ex-Premier ministre "avec les dirigeants de l'extrême droite israélienne".
Et il lâche un tweet assassin :
Dorénavant, la bande à Valls est totalement intégrée à la fachosphère et à sa propagande.
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 7 octobre 2017
Valls en rajoute une couche
Sauf que ce tweet réveille les soutiens de Manuel Valls, qui investissent Twitter, via le hashtag #Je SuisLaBandeDeValls.
Merci à tous et à toutes #JeSuisLaBandeDeValls
— Manuel Valls (@manuelvalls) 8 octobre 2017
Revigoré, prêt à en découdre, Manuel Valls ne fait rien pour apaiser les choses. Jeudi matin sur Europe 1, il va plus loin dans ses accusations à l’égard de la France Insoumise. "Quand on dit que je suis l’ami de l’extrême droite israélienne, au fond, on veut passer un seul message : dire que Manuel Valls est l’ami des juifs", estime le député de l’Essonne.
"C’est là où il y a une complaisance, là où Jean-Luc Mélenchon et ses amis ne se rendent pas compte - ou ils s’en rendent compte et c’est encore plus grave - que l’antisémitisme, ou l’antisionisme, ce nouvel l’antisémitisme d’aujourd’hui, est au cœur de la matrice de l’idéologie de la matrice de l’islamisme totalitaire. Il y a au moins de l’opportunisme", accuse encore Manuel Valls. "Quand on me désigne comme l’ami des juifs, on veut faire de moi une cible. Et c’est inacceptable." Pas vraiment de quoi calmer les esprits donc.
D’anciens camarades aux gauches irréconciliables
Les deux hommes n’ont pourtant pas toujours été ennemis. Ils étaient tous deux autour de Michel Rocard quand celui-ci était premier secrétaire du Parti socialiste, en 1993. Ils étaient de la même équipe quand Manuel Valls gérait la communication du Premier ministre Lionel Jospin, dont Jean-Luc Mélenchon fut le ministre délégué à l’Enseignement professionnel entre mars 2000 et mai 2002. Mais le référendum sur le traité constitutionnel européen, en 2005, les voit s’opposer une première fois. Il se déchire encore quand Ségolène Royal est désignée candidate à la présidentielle au nom du Parti socialiste en 2006. La rupture est consommée quand Jean-Luc Mélenchon quitte le PS fin 2008. Dès lors, ils ne sont plus camarades.
Mais c’est lors du passage de Manuel Valls à Matignon, de mars 2014 à décembre 2016, que l’inimité se mue en haine féroce. Excédé par la ligne libérale du gouvernement, Jean-Luc Mélenchon devient l’un de ses plus virulents pourfendeurs. En réponse, le futur ex-Premier ministre fustige – déjà – ce qu’il estime être la complaisance de la gauche de la gauche vis-à-vis de l’islamisme radical et théorise la laïcité de combat. Il théorise aussi, et surtout, en février 2016, "les deux gauches irréconciliables", qui semblent aujourd’hui plus réelles que jamais. "J’avais dit en 2016 qu’il y avait parfois deux gauches qui étaient irréconciliables. Et malheureusement, les faits me donnent raison", a d’ailleurs lancé Manuel Valls jeudi matin sur Europe 1.
Et ce n’est sans doute pas fini. Dans quelques semaines, le Conseil constitutionnel devra se prononcer sur la validité de l’élection de Manuel VValls dans la 1er circonscription de l’Essonne. En juin dernier, l’ancien Premier ministre l’avait emporté par 139 voix face à la candidate de La France insoumise de Farida Amrani, au terme d’un scrutin particulièrement tendu. Quel que soit la décision des Sages, elle écrira à n’en pas douter un nouvel épisode de la guerre entre les deux hommes.