En matière de loi, le Sénat n’a jamais le dernier mot, puisqu’en cas de désaccord, c’est l’Assemblée qui, au final tranche. Il arrive cependant parfois que la Chambre haute soit la première à se prononcer sur une loi d’importance. C’est le cas pour le texte portant sur la moralisation de la vie politique. Lundi après-midi, pendant que les députés plancheront sur l’habilitation donnée au gouvernement de légiférer par ordonnance en matière de droit du travail, les sénateurs, eux, étudieront et amenderont le projet de loi - et le projet de loi organique - "rétablissant la confiance dans l’action publique", selon l’appellation donnée par son rédacteur, François Bayrou.
Mais ce n’est pas le maire de Pau, démissionnaire le 19 juin dernier, qui défendra le texte au Sénat, . Et elle ne devrait pas avoir face à elle un hémicycle trop chahuteur. Au contraire, les sénateurs se veulent constructifs. Ils devraient ainsi donner un nouveau nom aux textes, mais aussi y ajouter plus de contraintes pour les parlementaires, et pour les ministres. L’objectif, au-delà de démontrer auprès de l’opinion son volontarisme en matière de moralisation de la vie publique, est aussi de mettre le gouvernement au pied du mur sur certains points.
- "Une loi pour la régulation de la vie publique" qui va plus loin
Première bravade : le Sénat a décidé en commission - des Lois et des Finances - de rebaptiser le texte "projet de loi pour la régulation de la vie publique". "Parler de moralisation est stupide et injurieux pour les 600.000 élus de la République qui méritent le respect", s’est justifié Philippe Bas, président de la commission des Lois et rapporteur du texte. Le sénateur Les Républicains de la Manche oublie là que François Bayrou avait nommé son texte "projet de loi rétablissant la confiance dans l’action publique". Point de "moralisation", donc.
Outre ce changement avant tout cosmétique, les sénateurs devraient aussi apporter quelques modifications plus substantielles. Ils ont ainsi supprimé en commission un article voulu par François Bayrou qui permettait au gouvernement de créer par ordonnance une "banque de la démocratie". Un dispositif "dangereux alors que le gouvernement ne sait pas ce qu'il veut", a argué Philippe Bas. Le Sénat a aussi retoqué la mesure imposant un casier judiciaire vierge aux candidats en prétextant des risques d’inconstitutionnalité, lui substituant une peine complémentaire d'inéligibilité de 10 ans pour tout candidat ayant manqué à la probité.
Mais sur de nombreux points, les sénateurs s’apprêtent à aller plus loin. Ainsi, ils souhaitent étendre l’interdiction, très emblématique après le PenelopeGate, d’embaucher un membre de sa famille –une mesure adoptée sans réserve par la commission - aux cabinets des élus locaux. Par ailleurs, ils ont adopté une simplification du contrôle des frais de mandat des parlementaires, qui seraient plafonnés et remboursés au réel, afin de limiter les coûts de gestion. En même temps, elle a proposé que les indemnités complémentaires de fonction des présidents ou vice-présidents des Assemblées soient soumises à l'impôt sur le revenu.
- Le gouvernement mis au défi
Sur d’autres points aussi, les sénateurs veulent aller plus loin, mais avec une idée derrière la tête : mettre le gouvernement au défi. Ainsi, ils proposent d’accompagner la suppression de la réserve parlementaire, qui permet à un député ou à un sénateur de financer des projets à hauteur de 130.000 euros par an environ, d’une suppression des réserves dont disposent Matignon et l’Elysée, d’un montant de plusieurs millions d’euros.
Une autre mesure adoptée en commission porte sur les conflits d’intérêts. Le gouvernement veut empêcher un parlementaire de participer à un débat concernant une entreprise ou une branche dans laquelle il a travaillé ? Le Sénat propose de faire de même pour les ministres, qui ne pourraient plus, selon le même principe, participer à une délibération, y compris au Conseil des ministres.
" Faire en sorte que le gouvernement se donne le mauvais rôle "
L’objectif des sénateurs est clair : mettre le gouvernement sous pression, alors que l’appétence de l’opinion publique pour la moralisation de la vie politique n’a jamais été aussi grande. "Notre chance à nous, c’est de faire en sorte que le gouvernement se donne le mauvais rôle s’il ne nous suit pas", admet un sénateur de droite dans L’Opinion. "Le débat au Sénat sera un véritable test de ce que seront les relations entre la Haute Assemblée et le bloc majoritaire - présidence de la République, Premier ministre, Assemblée nationale - pour les cinq ans à venir", ajoute Philippe Bas.
La droite sénatoriale, puisque c’est elle qui est aux manettes de la Chambre haute, compte donc sur l’examen de ce texte pour se rappeler au bon souvenir du gouvernement. Et sur le sujet, ils n’auront pas de deuxième chance. Le gouvernement ayant mis en place la procédure accélérée, le projet de loi ne sera examiné qu’une seule fois par chaque assemblée. Une raison supplémentaire pour les sénateurs de soigneusement préparer leur coup.