C'est le premier couac interministériel du quinquennat. Le nouveau ministre de l'Agriculture et le ministre de la Transition écologique ne s'entendent pas sur une éventuelle levée de l'interdiction des néonicotinoïdes, un puissant insecticide accusé notamment de détruire les abeilles. Les deux hommes ont ferraillé à distance lundi, par média interposés. Alors que Stéphane Travert a plaidé, au micro de BFM TV, pour l'ouverture de dérogations à certains secteurs de l'agriculture, Nicolas Hulot assure que le sujet est clos. Retour sur ce début de polémique en quatre actes :
Acte I : Le gouvernement envisagerait un retour en arrière. C'est un document de travail interministériel, auquel RMC a eu accès, qui a mis le feu aux poudres. Selon ce texte, daté du 21 juin, le gouvernement envisagerait de revenir sur certaines réformes en matière d'écologie, et notamment l'interdiction des néonicotinoïdes. Cet insecticide doit être prohibé à partir 2018, en vertu de la loi de 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, qui permet toutefois certaines dérogations, du moins jusqu'en 2020, date théorique d'une interdiction totale. Interrogé sur le sujet en février 2017 par la WWF, le candidat Emmanuel Macron avait indiqué ne pas vouloir revenir sur cette loi.
Et pourtant, le texte rapporté par RMC pointe le zèle de la législation française en la matière, estimant que les "dispositions nationales excèdent les normes européennes". Interrogée par la radio dimanche, le ministre de l'Environnement, Nicolas Hulot a indiqué qu'il n'était pas au courant d'une éventuelle levée de l'interdiction. "Ça n'est pas du tout dans mon logiciel et dans mon radar.", a précisé celui qui a été la figure de proue de la bataille des écologistes contre les néonicotinoïdes. Selon ses services, le document publié serait "périmé".
Acte II : Stéphane Travers veut des "dérogations". Invité lundi matin de RMC/BFM TV, le ministre de l'Agriculture Stéphane Travert a pourtant indiqué qu'il envisageait bel et bien de revenir sur l'interdiction des néonicotinoïdes. La législation française "n'est pas conforme avec le droit européen", a-t-il déclaré, expliquant que l'absence de produit de remplacement pénalisait plusieurs secteurs agricoles. "Nous avons un certain nombre de produits aujourd'hui qui ont été estimés dangereux et qui sont au fur et à mesure retirés du marché, mais d'autres produits où nous avons des impasses techniques, n'ont pas de substitutions, nous devons pouvoir autoriser des dérogations pour en permettre l'utilisation afin que nos producteurs continuent à travailler dans de bonnes conditions". En conséquence, le responsable gouvernemental veut "mettre sur la table [...] la possibilité d'avoir un certain nombre de dérogations tant que nous n'avons pas trouvé les produits de substitution".
"C'est ma proposition", a encore souligné le ministre, indiquant qu'il s'en remettait à l'arbitrage d'Edouard Philippe, le chef du gouvernement. Surtout, anticipant une éventuelle levée de bouclier du côté du ministère de l'Environnement, le ministre a pris soin de préciser qu'il souhaitait, sur ce sujet, "bâtir un compromis" avec Nicolas Hulot.
Acte III : Hulot refuse toute "concession". Réagissant sur Twitter dans la foulée des déclarations de son collège, Nicolas Hulot s'est montré catégorique : "Les interdictions de néonicotinoïdes et d'épandage aérien ne seront pas levées, les arbitrages ont été rendus en ce sens". Le ministre ne veut faire "aucune concession" en la matière, a-t-il encore précisé en milieu de matinée en marge d'un déplacement à Lyon : "On ne reviendra pas sur des acquis, je veux être le garant de ce que mon prédécesseur a acté". "La loi existe. On ne va pas revenir sur la loi", a-t-il ajouté.
@RMCinfo les interdictions de neonicotinoides & épandage aerien ne seront pas levées, les arbitrages ont été rendus en ce sens
— Nicolas Hulot (@N_Hulot) 26 juin 2017
Une sérieuse dissonance donc, entre un ministre de l'Agriculture qui déclare attendre l'évaluation du Premier ministre, et un ministre de la Transition écologique qui s'en réfère au précédent quinquennat. Les deux hommes ont prévu de s'expliquer mercredi.
Acte IV : Matignon met fin au débat. De leur côté, les services du Premier ministre ont finalement éteint la polémique lundi en début d'après-midi."Le gouvernement a décidé de ne pas revenir sur les dispositions de la loi de 2016. Cet arbitrage a été pris à l'occasion d'une réunion tenue à Matignon le 21 juin dernier", a précisé Matignon dans un communiqué, donnant implicitement raison à Nicolas Hulot. "La Commission européenne ayant émis certaines observations sur la réglementation française afin de s'assurer de la conformité du droit français, un travail est en cours avec les autorités européennes", indique également la même source, sans donner davantage de précisions sur l'ampleur de ce "travail" et les éventuelles conséquences qu'il pourrait avoir sur la législation en vigueur.