Nicolas Sarkozy s’est adressé mercredi soir au "peuple de France", appelant au "réveil de la Nation" dans une longue allocution aux allures de discours de campagne. À l’occasion d’un meeting à Saint-André-Lez-Lille dans le Nord, le président des Républicains, qui officiellement n’a pas encore déclaré sa candidature à la primaire de la droite, a lancé : "Je suis Français, vous êtes Français, nous sommes Français, c'est une chance, c'est un privilège !", rappelant que la France, même laïque, restait "un pays chrétien dans sa culture et dans ses mœurs". Selon lui, "l'immigration massive et le communautarisme ont créé une prise de conscience du fait qu'il y avait quelque chose qui ne tournait plus rond en France", prise de conscience née "de la confrontation avec un islam identitaire".
Crise identitaire. Interrogé jeudi matin au micro d’Europe 1 quant aux destinataires de ce discours, prononcé dans une région où Marine Le Pen a récolté 26,22% des suffrages aux dernières élections, l’ancien chef de l’Etat a répondu : "Je n'exclus personne, je me suis situé dans une communauté nationale". Nicolas Sarkozy renoue donc avec son thème de campagne favori, celui de l'identité française. Pour le politologue Pascal Perrineau, ancien directeur du Centre de recherche politique de Sciences Po, le discours tenu par Nicolas Sarkozy est pour l’essentiel une reprise de celui de 2012, marquant un durcissement par rapport à la première campagne présidentielle. "2007, c’était aussi une campagne d’ouverture vers la gauche, avec des références chrétiennes beaucoup moins fortes", relève-t-il. Cette redite de la campagne perdante "ringardise" l’ancien président selon le politologue, mais surtout, elle marque un positionnement très à droite qui est loin de faire l’unanimité chez les candidats à la primaire.
En février dernier, devant les étudiants de l’université d’Assas, Alain Juppé préférait parler d’"identité heureuse", assurant qu’il existait "une lecture du Coran parfaitement compatible avec la République". Bruno Le Maire, de son côté, met en avant la "culture française" : "L'identité, ça vous enferme. L'identité, c'est immobile. La culture française, elle, elle est vivante. Elle bouge. Elle s'enrichit de plein d'apports extérieurs", a-t-il fait valoir mercredi sur France 2. "Nicolas Sarkozy cherche à orienter le débat sur ce thème pour des questions de concurrence interne aux Républicains", analyse Pascal Perrineau. "Dans les milieux populaires, y compris du côté des catholiques, il est très concurrentiel sur ces questions, alors qu’Alain Juppé est moins à l’aise avec ce milieu. C’est également une manière de créer de la différence, car au fond, les deux sont proches sur les questions économiques ou internationales."
" "Dans les milieux populaires [...] Nicolas Sarkozy est très concurrentiel" "
Le ralliement de François Baroin. François Baroin, qui a pourtant annoncé son soutien à une éventuelle candidature de Nicolas Sarkozy, avait également pris ses distances, après l’échec de 2012, avec la ligne défendue alors par le chef de l’Etat sortant. "Il existe actuellement une vraie ligne de fracture entre ceux qui veulent déplacer le centre de gravité vers la droite et ceux qui, comme Alain Juppé, François Fillon, moi-même et bien d'autres, naturellement, souhaitent conserver l'esprit du pacte des fondateurs [de l’UMP]", déclarait-il en 2013 dans un entretien à L’Express. Depuis, le président de la très influente Association des maires de France, fidèle chiraquien, a salué "le leadership, la force, la passion" de Nicolas Sarkozy. Une "alliance contre nature" pour certains commentateurs, mais qui doit permettre à Nicolas Sarkozy d’élargir son socle électoral.
Outre l’image de renouvellement qui peut être associée à François Baroin, élu plus jeune député de France en 1993, son positionnement social doit venir rassurer des électeurs qui pourraient être tentés de se tourner vers Alain Juppé. "Il tente d’avoir une palette large. Mais à l’arrivée ça n’est pas pour Baroin que les gens vont voter", relève Pascal Perrineau. "Les électeurs LR veulent un gagnant. Si Nicolas Sarkozy arrive au second tour de la présidentielle face à Marine Le Pen, ce sera une victoire au couteau. Juppé, lui, aura vingt à trente points d’avance."
La droite catholique. Surtout, les dernières prises de parole de Nicolas Sarkozy, dont les intonations chrétiennes rappellent le discours polémique de Latran en 2007, sont aussi un appel lancé à la droite catholique, qui s’est réveillée autour de la mobilisation contre le Mariage pour tous, à l’image de Sens commun, ce mouvement ultra-conservateur rattaché aux Républicains, et qui intéresse au-delà du parti.
Dans une tribune publiée début février par le Figarovox, Damien Lempereur, un proche de Nicolas Dupont-Aignan, invitait Sens Commun à se détacher des Républicains. Fin mai, Madeleine Bazin de Jessey, porte-parole du mouvement, et Marion Maréchal-Le Pen faisaient côte à côte la Une de l’hebdomadaire Famille Chrétienne. La députée FN du Vaucluse y revendiquait un "socle commun" avec Sens Commun, évoquant son désir d’"alliances locales" dans l’hypothèse d’une victoire d’Alain Juppé, selon elle le chantre d’une "ligne fédéraliste et laxiste". Sur France Inter, Eric Woerth, proche de Nicolas Sarkozy, a néanmoins tenu à balayer cette hypothèse : "Il n'y a aucune alliance possible entre les dirigeants du FN et nous. Ça fait 25 ans qu’on nous le dit. Ça fait évidemment 25 ans qu’on ne le fait pas.""Madame de Jessey, c’est pas une responsable du parti", a-t-il ajouté.
L’original et la copie. Le président des Républicains, toujours distancé par le maire de Bordeaux dans les sondages, ne compte pas laisser ces électeurs potentiels se tourner vers d’autres formations politiques. "Il est certain que Nicolas Sarkozy est influencé par la montée du FN, il a l’impression que la thématique de l’identité est essentielle, explique Pascal Perrineau, mais c’est oublier ce que l'on sait depuis des années : les Français préfèrent toujours l’original à la copie."