C’était sans doute le but recherché, mais Nicolas Sarkozy a lâché une petite phrase qui n’est pas passée inaperçue lundi lors d’une réunion publique à Franconville, dans le Val d’Oise. "Dès que vous devenez français, vos ancêtres sont gaulois", a lancé l’ancien président de la République pour promouvoir l’assimilation des immigrés, l’un de ses thèmes de prédilection dans cette campagne pour la primaire des Républicains. Evidemment, la phrase a été largement critiquée dans la classe politique, à droite comme à gauche. Mais surtout, elle est discutable historiquement.
- Ce qu’en disent les historiens
"La vérité est beaucoup plus compliquée que cela", explique l’historien Sylvain Venayre, auteur de Les Origines de la France. "La Gaule, d’abord, est probablement une création de César, son coup de force initial, qui visait à expliquer pourquoi il avait conquis un territoire sur lequel il n’avait pas forcément de droits. Même si certains historiens considèrent qu’il y avait une population qui partageait effectivement beaucoup de choses, il y avait beaucoup de peuplades gauloises très différentes", poursuit l’universitaire, professeur à l’université Grenoble-Alpes. Citons les Arvernes, les Helvètes, les Turons, les Allobroges, les Sénons, les Pictes, parmi beaucoup, beaucoup d’autres.
Pendant plusieurs siècles la Gaule et les Gaulois tombent ensuite dans l’oubli. "Jusqu’aux 16ème et 17ème siècles, quand les historiens redécouvrent l’Antiquité", explique François Reynaert, auteur de Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises. "Mais pour les rois de l’époque, il s’agissait avant tout de remonter jusqu’à Clovis, le premier roi baptisé. Louis XIV ne pensait pas que ses ancêtres étaient gaulois, par exemple". La Révolution française est un premier tournant. "Puisque les nobles se cherchaient une filiation chez les Francs, le Tiers-Etat s’est aussi cherché une filiation, et est remonté jusqu’aux Gaulois", poursuit le journaliste spécialiste de l’Histoire.
Mais le tournant décisif a lieu à la fin du 19ème siècle. La France vient de perdre la guerre de 1870 et a besoin de retrouver sa fierté. "C’est l’apparition du récit national, avec notamment l’exploitation de la figure de Vercingétorix, qui avait été très peu utilisée avant. C’est un figure glorieuse dans la défaite", commente Sylvain Venayre. "Et puis il y a des dommages collatéraux, comme la notion de gallo-romain, une construction totale du 19ème siècle. Tout cela vise à montre qu’il y a une civilisation originelle", poursuit l’historien. Et c’est la publication, en 1884, du Petit Lavisse, manuel scolaire qui commence par cette phrase : "Autrefois, notre pays s'appelait la Gaule et ses habitants, les Gaulois", qui installe le mythe. Et il va perdurer, puisque l’ouvrage sera republié et distribué aux écoliers français jusqu’en 1950.
Et aujourd’hui encore, il reste tenace, ancré encore dans l’imaginaire français. Astérix n’y est pas pour rien. Et désormais, Nicolas Sarkozy non plus. Pourtant, "expliquer que les Français descendent des Gaulois, c’est très contestable. Et expliquer que quand on devient français, nos ancêtres sont Gaulois, ça ne veut plus rien dire du tout", tranche l’historien Sylvain Venayre. "C’est historiquement absurde, et c’est historiquement connoté à une période qui exaltait le nationalisme", regrette de son côté François Reynaert. "Nicolas Sarkozy, c’est toujours la stratégie du faux bon sens. Il s’adresse à un électorat de plus de 65 ans, qui sera décisif dans la primaire, et qui est beaucoup dans l’idée que c’était mieux avant, dans la mythification de l’école qu’ils ont connue. Et évidemment c’est feu contre les immigrés. Il rend un mauvais service à la France, car il divise le pays, et il le fait aller en arrière. C’est dangereux", regrette le journaliste de L’Obs.
- Ce qu’en disent les politiques
La sortie de Nicolas Sarkozy n’a en tout cas pas laissé indifférente la classe politique. Et au premier chef ses rivaux de la primaire Les Républicains, dont certains ne semblent pas partager la vision historique de l’ancien président. "Je souris, je souris un peu", a réagi mardi matin sur France Info Alain Juppé, qui n’avait en fait pas du tout envie de rire. "Ça voudrait dire qu'on est tous pareil, qu'on coupe nos racines. Mais quand on coupe les racines d'un arbre, il meurt", a estimé le maire de Bordeaux. "Ne nous caricaturons pas dans nos paroles", a lancé mardi Bruno Le Maire sur Radio Classique. "J'ai un grand-père pied-noir, j'ai une arrière-grand-mère brésilienne, j'ai une mère qui est toulousaine, j'ai un père né à Paris, et je me sens avec toutes ces racines pleinement, entièrement, français", a déclaré le chantre du renouveau.
D’autres se sont souvenus du Nicolas Sarkozy de 2007 qui se revendiquait "petit Français de sang mêlé". C’est le cas de l’écologiste François de Rugy et, plus surprenant, de l’ancienne protégée de Nicolas Sarkozy, Rama Yade, désormais centriste.
C'était qui déjà le candidat à une présidentielle qui exaltait "le petit Français de sang mêlé" ? La grande régression... #NS2017https://t.co/GGpv0ikeVq
— François de Rugy (@FdeRugy) 19 septembre 2016
Avec mes origines gauloises enfin reconnues, impossible desormaispour moi de cotoyer ce sang mêlé qu'est NSarkozy :) https://t.co/HxyHF5UYyi
— Rama Yade (@ramayade) 19 septembre 2016
- Ce qu’en disait François Mitterrand
Le débat n’est pas neuf. François Mitterrand, alors président de la République, l’avait commenté le 18 mai 1987, lors d’un colloque sur, "La France et la pluralité des cultures", à la Sorbonne. A l’époque, Nos ancêtres les gaulois est un refrain largement entonné par l’extrême droite, et le premier président socialiste de la 5ème République avait choisi l’humour pour y répondre. C’est l’INA qui, comme l’a remarqué Marianne, a exhumé cette vidéo, sans hasard du calendrier aucun.
" Refuser tous les appels de l’inconscient, de je ne sais quel subconscient mal réglé ou mal dirigé "
"Nous sommes Français, nos ancêtres les Gaulois, un peu romains, un peu germains, un peu juifs, un peu italiens, un petit peu espagnols, de plus en plus portugais, peut-être qui sait polonais, et je me demande si déjà nous ne sommes pas un peu arabes…", avait lancé François Mitterrand devant une salle hilare. Et de lancer ce souhait, qui résonne avec force aujourd’hui : "Je voudrais bien que ces choix politiques n’altèrent pas ce type de débat, et que puissent siéger dans des assemblées des femmes et des hommes dont les conceptions de politique intérieure sont diverses, mais qui sauraient s’allier pour refuser tous les appels de l’inconscient, de je ne sais quel subconscient mal réglé ou mal dirigé", et "de choisir l'unité de la France à construire".