Vent debout contre Chez Nous, le Front national vient de faire une belle publicité au dernier film de Lucas Belvaux. Ce long métrage, qui ne sort que le 22 janvier, est en effet au cœur de houleux débats. En cause : le sujet du film, qui s'intéresse au parcours d'une infirmière approchée par un parti populiste pour devenir sa candidate aux élections municipales. Les ressemblances entre ce parti, appelé Bloc patriotique au cinéma, et le Front national, ne sont évidemment pas fortuites.
Un film "de propagande" avec des fonds publics. N'ayant visiblement jamais entendu parler de "l'effet Streisand", qui veut qu'une œuvre soit toujours plus visible après une tentative de censure, les responsables politiques du Front national ne cessent de batailler contre Chez Nous, qu'ils n'ont pourtant pas encore vu. Leurs arguments sont nombreux. Tous estiment qu'il s'agit, comme l'a dit Florian Philippot, d'un film "clairement anti-FN". Le calendrier les agace aussi. "Je trouve ça proprement scandaleux qu'en pleine campagne présidentielle, on sorte dans les salles françaises" un long-métrage politisé comme celui-ci, a poursuivi dimanche, sur Europe 1, le numéro 2 du Front national. Enfin, les leaders frontistes s'insurgent, à l'instar de Gilbert Collard, contre le fait que les "productions du système", qualifiées par le député du Rassemblement Bleu Marine "d'émules de Goebbels", financent un film "de propagande" aux frais du contribuable. "Ce film relève de la propagande d'État. Il est financé avec l'argent public", s'est récrié Nicolas Bay, eurodéputé frontiste, sur iTELE.
"Ce film #cheznous relève de la propagande d'Etat. Il est financé avec l'argent public."@itele
— Nicolas Bay (@nicolasbayfn) 3 janvier 2017
Qui a financé Chez Nous ? Financé avec l'argent public, vraiment ? L'Express s'est chargé du décompte du budget de Chez Nous. Au total, le film a coûté 5,34 millions d'euros. Une somme qui n'a rien d'extraordinaire, le budget moyen d'un long métrage français étant de 5,57 millions d'euros en moyenne, selon une étude du Centre national du cinéma (CNC). Sur ces 5,34 millions d'euros, un million vient du producteur, Synecdoche, 500.000 du distributeur, Le Pacte, et 400.000 des Sofica, sociétés de financement qui agrègent des investissements privés.
La télévision a ensuite beaucoup investi dans le film. Canal+ a injecté 1,4 million d'euros, Ciné+ 190.000, France Télévisions 500.000 et France 3, co-producteur du long métrage, 400.000. Enfin, il faut rajouter 800.000 euros de financements belges (dont la RTBF) et 150.000 euros du Conseil régional des Hauts-de-France.
20% de fonds publics. "Le seul argent public, c'est les 150.000 euros de la région Hauts-de-France", détaille David Frenkel, le producteur de Chez Nous, à L'Express. "Soit 2,80% du total." En réalité, il faut y ajouter les 900.000 euros versés par France Télévisions et France 3. "Les ressources de France Télévisions proviennent majoritairement de la redevance, c'est donc bien de l'argent public", explique à Europe1.fr Olivier Bomsel, directeur de la Chaire ParisTech d'Économie des Médias et des marques. On est donc à 1,05 million d'euros de fonds publics, soit près de 20% -en excluant les fonds publics belges.
Une obligation légale. Cette contribution de la part de l'audiovisuel public n'est pas seulement courante, elle est obligatoire en France. "Les chaînes de télévision sont obligées de pré-acheter les films", rappelle Olivier Bomsel. Chez Nous a donc bien été réalisé en partie aux frais du contribuable, mais c'est vrai de tous les films, ceux de Dany Boon comme ceux d'auteurs, les "politisés" comme ceux qui ne le sont pas. Pour le spécialiste, même le financement qui provient de chaînes privées, comme Canal+, pourrait être associé à un financement public. En effet, l'Etat les oblige à consacrer une certaine part de leur chiffre d'affaires à la subvention du cinéma en échange de l'octroi d'un marché protégé (en l'occurrence, historiquement, d'une fréquence hertzienne).
" En France, le cinéma est financé à près de 50% par le contribuable. "
Pas de financement du CNC. En outre, Chez Nous a reçu en proportion plutôt moins d'aides publiques que beaucoup de films. En France, "le cinéma est financé à près de 50% par le contribuable", note Olivier Bomsel. Le long métrage de Lucas Belvaux n'a, par exemple, pas obtenu l'avance sur recettes du CNC, qui provient notamment d'une taxe prélevée sur les places de cinéma. Et ce, contrairement à ce qu'a affirmé Nicolas Bay sur iTélé.
Un système que le Front national, s'il parvient au pouvoir, compte visiblement changer. Nicolas Bay a ainsi parlé, d'une "interdiction des subventions publiques contre tout ce qui est politisé et ne correspond pas à l'intérêt général".