Mardi soir face à des maires de Normandie, Emmanuel Macron s’est dit prêt à revenir sur certains points de la loi NOTRe, adoptée en 2015. Pas vraiment une revendication citoyenne, mais de quoi contenter les maires.
C’est un peu l’invitée surprise. Mardi soir, lors de sa rencontre marathon avec des maires en Normandie, censée ouvrir le "grand débat national", Emmanuel Macron a remis sur la table la loi NOTRe, ouvrant la porte à une remise en cause de certaines dispositions de ce texte définitivement adopté le 7 août 2015, sous la présidence de François Hollande. "Moi, je suis prêt à rouvrir la loi NOTRe. On voit bien qu'il y a besoin d'une respiration sur des choses qui ont été mal faites", a lancé le président de la République. "Donc, je souhaite dans le cadre de ce débat il puisse y avoir ce travail de sorte que la ministre de la Cohésion des territoires et le ministre délégué aux Collectivités territoriales puissent avancer et porter un projet qui permette d'aménager ce qui dans cette loi ne fonctionne pas", a-t-il insisté.
L’annonce a été saluée par des applaudissements nourris des quelque 600 édiles présents dans la salle avec le chef de l’Etat. Mais on ne peut pas pour autant dire qu’elle fasse partie des revendications des citoyens, que ce soit dans les cahiers de doléances ou dans le mouvement des "gilets jaunes".
Cette quoi la loi NOTRe ?
Comme beaucoup de lois, la loi NOTRe a vu son nom simplifié pour des raisons pratiques. Son nom entier est la "loi portant nouvelle organisation territoriale de la République". Pour faire simple, le texte, long tout de même de 137 articles, a pour but de réorganiser et de clarifier les compétences des différentes collectivités territoriales du pays, en somme de simplifier le fameux millefeuille territorial qui complique grandement la compréhension du citoyen concernant le fonctionnement des institutions du pays.
Plus dans le détail, la loi NOTRe a renforcé le pouvoir des régions, en termes de développement économique, de transports, d’aménagement durable, d’enseignement. Elle a aussi limité les compétences du département à la solidarité et à la gestion des collèges. Elle a enfin largement renforcé les pouvoirs des intercommunalités, notamment en relevant le seuil de constitution de ces établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à 15.000 habitants, contre 5.000 auparavant. Avec pour principe que plus une communauté est large, plus elle est puissante. Les "interco" ont ainsi récupéré des compétences des communes tels que la collecte des déchets, la promotion touristique, l’accueil des gens du voyage et dans quelques années la gestion et l’assainissement des eaux.
Pourquoi l’annonce d’Emmanuel Macron a contenté les maires
Il a suffi de voir les réactions enthousiastes des maires présents avec Emmanuel Macron pour comprendre que la remise en cause de la loi NOTRe a contenté les édiles du pays. "Lors de la dernière étude du Cevipof sur les maires, 80% d’entre nous affirmaient vouloir une remise à plat de la loi NOTRe", confirme à Europe 1 André Laignel, premier vice-président de l’Association des maires de France (AMF). "Car avec cette loi, les maires se sentent dépossédés de leurs compétences."
" Souvent les maires ont l’impression d’être dépossédés de leurs prérogatives "
Dans le viseur de l’édile (PS) d’Issoudun, dans l’Indre, la trop grande place prise à son goût - et à l’entendre au goût de ses collègues -, par les intercommunalités. "D’abord, on est passé d’une participation choisie à une participation contrainte", peste André Laignel. "Ça a entraîné des communautés XXL, avec une cinquantaine, parfois une centaine de communes. Et quand on se retrouve avec une assemblée intercommunale avec 200, 300 délégués, c’est ingérable. Et c’est en fait le bureau, soit une poignée de personnes, qui décide". Résultat : "Cela éloigne les citoyens des lieux du pouvoir. Or, les gens réclament, ont besoin de plus de proximité", insiste le maire d’Issoudun.
"Il y a eu lors du mandat précédent une succession de réformes territoriales parfois menées à marche forcée, pas toujours sur des critères rationnels, sans réelle concertation", abonde Jean-René Cazeneuve, président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation à l’Assemblée nationale. "Et souvent les maires, surtout ceux des petites communes, ont l’impression de ne plus peser dans les intercommunalités, et d’être dépossédés de leurs prérogatives", poursuit le député LREM du Gers.
Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il fait cette annonce ?
On ne peut pas dire que la loi NOTRe soit au cœur des préoccupations des citoyens qui ont rempli les pages des cahiers de doléances mis à disposition par les maires, ou fasse partie des revendications des "gilets jaunes". On peut même affirmer le contraire, la loi étant dans l’ensemble méconnue. "Ce n’est pas un sujet qui est disputé aux carrefours ou aux ronds-points", estime aussi André Laignel. Jean-René Cazeneuve nuance. "Parmi les sources du mouvement des ‘gilets jaunes’, il y a le sentiment d’éloignement des centres de décisions", juge l’élu du Gers. Cela fait donc partie des revendications, c’est juste formulé d’une autre manière.
" Les maires ne sont pas des personnes qu’on peut draguer facilement "
André Laignel voit surtout une arrière-pensée politique dans la déclaration d’Emmanuel Macron. Pour le maire socialiste d’Issoudun, cette annonce présidentielle "fait partie de la stratégie" d’Emmanuel Macron pour reconquérir le cœur des maires, mécontents depuis le début du quinquennat. "Mais les maires ne sont pas des personnes qu’on peut draguer facilement. Nous ne voulons pas de déclarations d’amour, nous voulons des preuves", prévient-il.
"Il faut relativiser", tempère Jean-René Cazeneuve. "Emmanuel Macron avait déjà évoqué un aménagement de la loi NOTRe avec le bureau de l’AMF à l’Elysée fin novembre, alors que le mouvement des ‘gilets jaunes’ venait de débuter. Cette antériorité prouve sa sincérité", appuie le président de la délégation aux collectivités territoriales. "Et puis les maires sont conscients des problèmes démocratiques qu’ils ont face à eux. Ils ne le prennent pas à la légère. Je pense qu’ils sont partants pour ce grand débat".
Reste que si le chef de l’Etat veut s’appuyer sur les édiles, comme il l’avait affirmé en décembre 2018, c’est parce qu’ils sont les élus les plus populaires de France auprès des Français. C’est aussi parce qu’ils comptent sur eux pour que le "grand débat national" soit une réussite. Une chose est sûre, il n’est plus question de faire sans eux, comme il l’a parfois fait au début de son quinquennat. "Le paradoxe, c’est que le président de la République redécouvre les maires grâce aux ‘gilets jaunes’", ironise André Laignel.