Après des semaines de débats et de meetings, la campagne présidentielle de 2022 se conclut vendredi soir à minuit, pour laisser place à la réserve électorale avant le second tour dimanche, et le résultat du "match retour" entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Une élection dont l'éditorialiste d'Europe 1 Nicolas Beytout tire les enseignements. Pour lui, cette campagne présidentielle a été marquée par des imprévus et des retournements de situation qui ont révélé la grande indécision des Français.
La surprise, c'est qu'il n'y en a pas eu
On peut déjà faire un bilan vendredi. Vous savez qu’on a coutume de dire que l’élection présidentielle française réserve toujours une surprise. Ce fut la victoire de Jacques Chirac sur Édouard Balladur en 1995, puis l’élimination de Lionel Jospin au premier tour de 2002, la qualification de Ségolène Royal en 2007, finalement battue par Nicolas Sarkozy, puis le crash de Dominique Strauss-Kahn en 2011 pour finir par l’incroyable irruption d’Emmanuel Macron il y a cinq ans.
Cette fois, la surprise, c’est qu’il n’y en a pas eu. Le fameux duel final, annoncé depuis des années, entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen aura bien lieu. Les Français, paraît-il n’en voulaient pas, et pourtant ce sera l’affiche, dimanche. Mais, s’il n’y a pas eu "la" surprise, celle qui bouleverse les plans les mieux échafaudés, celle qui bouscule le scénario électoral préétabli, en revanche il y a eu plusieurs imprévus et retournements de situation. Des montées en flèche et des descentes aux enfers.
>> LIRE AUSSI - Législatives : l'union à gauche est-elle possible ?
Zemmour, Pécresse, Hidalgo : les grands échecs du premier tour
On pense à Éric Zemmour, Valérie Pécresse et Anne Hidalgo. La course folle d’Éric Zemmour restera un cas pour les sondeurs. Parti de rien, il grimpe rapidement dans les enquêtes d’opinion, trébuche deux fois, se redresse deux fois (chose qui ne s’était jamais vue dans une campagne), pour finir loin, très loin de ses ambitions, avec 7% des voix au premier tour. C'est le premier imprévu.
Puis, il y a la chute sous les 5% des voix des deux candidates des grands partis de gouvernement, Les Républicains et le Parti socialiste, qui restera comme un des événement marquants de la Ve République. Le désastre n’est pas de même ampleur dans les deux cas (c’est bien pire pour le PS), mais il annonce potentiellement des lendemains cruels pour les deux partis.
>> LIRE AUSSI - Défaite de Pécresse : comment Les Républicains comptent sur les législatives pour rebondir
En réalité, ces trois faits de campagne sont révélateurs de la très grande indécision dans laquelle s’est retrouvée, des semaines durant, le corps électoral. De mémoire de sondeurs, de telles amplitudes dans les intentions de vote n’avaient jamais été constatées. On disait par exemple que des courbes qui se croisaient (entre deux candidats) ne se recroisaient jamais. "Finito", ce n’est plus le cas. Est-ce que c’est parce que la campagne était molle, inconsistante, qu’elle se déroulait en l’absence du tenant du titre et principal prétendant à l’Élysée, c’est possible.
Le thème inattendu du pouvoir d'achat
La campagne s'est faite aussi sur un thème qui n'était pas spécialement attendu : le pouvoir d'achat. La plupart des observateurs s’attendaient à ce que la question de la sécurité et celle de l’immigration soient "les" sujets de la campagne. Et pour cause, ces thèmes se sont imposés dans le quotidien des gens. Mais ce quotidien, précisément, a été écrasé par la question du pouvoir d’achat, un sujet sur lequel il est assez difficile d’avoir des affrontements selon une grille purement politique.
Une campagne sur le pouvoir d’achat, c’est une campagne de distribution du pouvoir d’achat. Et c’est ce qui s’est produit. Avec le Covid et la guerre en Ukraine, ça a fait totalement disparaître des dossiers pourtant essentiels sur le train de vie de l’Etat, sur la dépense publique et sur la dette du pays. Comme si rien de tout ça n’avait plus d’importance. Ces sujets n’ont pas été débattus, et pourtant, ils vont vite devenir des impératifs lors du prochain mandat.
Le millésime 2022 ne restera pas comme une bonne année
Il s'agit d'une drôle de campagne, où il n'y a pas ou très peu eu de débat, et un désintérêt marqué de la part de l’opinion publique, c’est là aussi un imprévu à inscrire au bilan de la campagne, mais dans la colonne passif. Parce qu’on sait déjà que des réformes comme celle des retraites seront rudes, et qu’il aurait été préférable d’avoir une vraie confrontation politique pour donner au vainqueur de l’élection un mandat solide pour avancer.
Mais surtout parce que, plus largement, le débat sert à faire émerger une dynamique, une adhésion en faveur d’un candidat ou d’un autre, et pourquoi pas un rêve. Pas de campagne, pas de débat ; pas de débat, pas d’adhésion, c’est l’assurance d’avoir plutôt un vote de rejet. Et c’est ce qui va se produire, dimanche.
Il y a quand même eu des empoignades sur l’âge de la retraite (65, 64, 62 ans…), mais seulement en toute fin de campagne, après le premier tour, dans une phase qui a été d’autant plus étonnamment agitée que la phase précédente était atone. On verra ce qu’il sortira des urnes, dimanche soir, mais pour toutes ces raisons, le millésime électoral de 2022 ne restera pas comme une bonne année.