À un mois et demi du premier tour, la guerre en Ukraine bouleverse l'ordre du jour des candidats à la présidentielle, contraints d'adapter leur stratégie dans une campagne qui semble vouée à être étrange jusqu'au bout. Un président accaparé par la situation internationale, des candidats sans adversaire déclaré, des Français encore peu mobilisés et à peine sortis de la crise sanitaire : jamais une campagne présidentielle n'avait donné l'impression d'être comme happée par les évènements et suspendue au temps. Emmanuel Macron, dont l'entrée dans l'arène est sans cesse repoussée, est tout occupé à gérer les conséquences de l'invasion russe en Ukraine.
Au lendemain d'un sommet de l'Union européenne, il devait participer vendredi à un sommet de l'Otan en visioconférence. Il recevait également ses prédécesseurs François Hollande et Nicolas Sarkozy à l'Élysée et devait s'adresser au Parlement exceptionnellement réuni pour entendre un message écrit du président. L'entourage du chef de l'État avait cité le Salon de l'Agriculture, passage obligé pour tout candidat et qui s'ouvre samedi, comme possible rampe de lancement de sa campagne pour sa réélection. Mais cela paraissait vendredi improbable au vu des développements.
Le temps presse pourtant à 44 jours du premier tour pour lequel Emmanuel Macron part ultra-favori. Toutes les enquêtes d'opinion le donnent entre 24 à 25% des intentions de vote, largement devant la candidate du RN Marine Le Pen (17-18%). Le président sortant l'emporte également au second tour dans tous les scénarios.
Campagne bousculée
La campagne "est déjà compliquée (...) mais nous ne pouvons pas mettre entre parenthèse l'élection présidentielle. Mais elle sera certainement différente", a admis le patron des députés LREM, Christophe Castaner, sur Radio J. "C'est un moment de gravité où chacun est appelé à être responsable, digne. Il n'y pas de place pour la polémique", assurait de son côté sur Sud Radio Michel Barnier, soutien de la candidate LR Valérie Pécresse, estimant toutefois que la campagne ne doit pas être suspendue. Chez les candidats, on s'adaptait tant bien que mal, eux qui peinent déjà à être audibles auprès des Français sur fond de craintes d'une abstention record les 10 et 24 avril.
La campagne "est de fait bousculée par la guerre en Ukraine", a reconnu Marine Le Pen sur BFMTV et RMC. Interrogée pour savoir si Emmanuel Macron serait avantagé du fait de sa posture internationale, elle a répondu : "Objectivement, je ne le souhaite pas" mais "il pourrait être tenté de réduire" sa campagne "à quelques jours". Dans l'entourage de son rival d'extrême droite Éric Zemmour, qui devait tenir un meeting vendredi soir à Chambéry, on avoue s'être interrogé sur le maintien de ce déplacement. "Oui, on a hésité, du moins on s'est posé la question. Mais du coup, ce soir, Éric Zemmour parlera du conflit, de la paix, relations internationales".
La suite de son déplacement samedi en Haute-Savoie a en revanche été annulée. À gauche, l'écologiste Yannick Jadot, qui a biffé de son agenda un déplacement à Clermont-Ferrand, la socialiste Anne Hidalgo ou encore Christiane Taubira ont participé jeudi soir à Paris à des manifestations de soutien à l'Ukraine. La candidate socialiste a appelé, tout comme Yannick Jadot, à fournir des armes aux Ukrainiens pour qu'ils se défendent.
Talon d'Achille
Plusieurs candidats dont Marine Le Pen et le leader insoumis Jean-Luc Mélenchon se sont inquiétés des conséquences de cette guerre en Europe sur le pouvoir d'achat des Français, leur préoccupation numéro un selon les sondages, avant même que le conflit n'éclate. Dans le viseur, une nouvelle augmentation des prix de l'énergie et les possibles rétorsions russes aux sanctions occidentales, notamment l'approvisionnement en gaz russe, le talon d'Achille des Européens. Depuis La Réunion, où il fait campagne, Jean-Luc Mélenchon a dit craindre que "le prix du pétrole, du gaz, du blé va augmenter, tous les prix vont augmenter et nous serons les principales victimes".
De la même manière, Marine Le Pen a appelé à "ne pas traiter par-dessus la jambe" les conséquences potentiellement "terrifiantes" sur le pouvoir d'achat des Français. "Je dis attention à la nature des sanctions (...). Si nous en sommes les victimes, ça n'a aucun sens", a souligné la candidate. Dans une allocution télévisée jeudi, le président Macron avait lui-même averti les Français que cet "acte de guerre" de la Russie aura "des conséquences profondes, durables sur nos vies et la géopolitique de notre continent". Si "la France n'est pas le pays le plus exposé par rapport à la Russie" (...) ce "qu'on ne mesure pas, c'est le niveau de réponses de Poutine face aux sanctions" citant en particulier l'approvisionnement de gaz en Europe, confie à l'AFP un ministre.