On est à 42 jours seulement du premier tour de la présidentielle, et la campagne ne peut toujours pas commencer. Est-ce que cette situation peut durer ? Ce qui est sûr, c’est que la campagne s’est brutalement arrêtée, que toute prise de parole publique des candidats déclarés est désormais indexée sur la réalité en Ukraine, et que, dans cette situation de guerre à nos frontières européennes, tout défaut de solidarité nationale est impossible. Ce qui fait (et c’est assez paradoxal) que le problème de savoir si Emmanuel Macron est officiellement ou pas candidat n’a plus aucune importance : nous traversons une période de non-débat, dans une non-campagne. Et c’est inévitable. Le risque, pourtant, c’est que cette sorte d’apnée politique, cette période de sidération et de peur de l’engrenage, le risque, c’est que nous ayons dans 42 jours une non-élection.
Un vrai déficit de démocratie
C'est à dire une élection sans débat, sans programme, et donc un élu sans mandat. Ou, pour dire les choses autrement, une élection confortable pour un mandat inconfortable. Cela fait des années que l’on constate en France (et un peu partout dans les démocraties occidentales) qu’un fossé se creuse entre les élus et une partie de la population, laquelle se sent délaissé par les politiques. En France, après la crise des Gilets jaunes, Emmanuel Macron a testé une formule de démocratie participative avec le Grand débat et plus encore avec la Convention citoyenne. Pas très convaincant. Ce qui est sûr, c’est que si le chef de l’Etat était réélu sans que les Français aient eu d’autre option que de reconduire un chef de guerre, sans que l’on sache vraiment pour quel projet, pour quelle politique pour cinq ans de plus, alors il y aurait un vrai déficit de démocratie. C’est pour cette raison qu’Emmanuel Macron aura, malgré tout, besoin de faire un minimum campagne, de faire adhérer à son projet.
Comment pourront alors faire ses adversaires politiques ? Est-ce qu’ils seront toujours tenus par cet appel à l’union qu’Emmanuel Macron a lancé dès le premier jour de la guerre ? Beaucoup va dépendre de l’évolution de la crise, et de l’arrêt plus ou moins rapide de sa phase de guerre (des négociations avec les Russes ont déjà été acceptées par l’Ukraine, elles ont peut-être même déjà commencé). En plus, comme on l’a constaté à l’occasion d’événements sanglants, la solidarité nationale s’émousse de plus en plus vite. C’était par exemple très frappant lors de la vague d’attentats islamistes sur notre sol : sidération au début, condamnation rapide du pouvoir en place à la fin. Ce sera la même chose avec l’Ukraine ; ça se passera peut-être très tard, ce sera peut-être trop bref, mais ses adversaires à la présidentielle devraient avoir un temps de débat et de confrontation de leur projet avec celui du président sortant. D’autant qu’il bénéficiera de toute manière d’un avantage considérable : l’expérience du pouvoir en période de crise aigüe, la présidentialité.
Un paradoxe si les Français réélisaient Macron
Il est le seul à avoir été président, c’est entendu, mais est-ce que tous ses adversaires sont au même niveau d’inexpérience ? Non, pas tout à fait. Parmi ses adversaires, il y a ceux qui n’ont aucun antécédent politique, il y a ceux qui n’ont jamais exercé aucun mandat, ceux qui ont été parlementaires (c’est une première expérience politique), et puis il y a Valérie Pécresse qui a été ministre pendant 5 ans, et qui a géré la plus grande région française, qui a été réélue, qui a donc accumulé un peu de savoir-faire. L’échelle n’est pas la même, mais ça vaut bien ce qu’était le curriculum vitae d’Emmanuel Macron lorsqu’il a été élu il y a 5 ans. Et puis, ce serait un incroyable paradoxe de voir que la France, ce pays qui, depuis près d’un demi-siècle, a systématiquement renvoyé tous ses dirigeants sous prétexte qu’ils avaient exercé le pouvoir, ce pays qui a pratiqué le dégagisme à outrance, décidait de changer du tout au tout sa posture pour élire (et réélire) quelqu’un justement parce qu’il a exercé le pouvoir.