Le gouvernement va exclure dans sa future loi sur l’immigration la possibilité d’expulser un étranger vers un pays dans lequel il a transité. Cette notion de pays tiers sûr est décriée.
Le projet de loi sur l’immigration porté par Gérard Collomb suscite son lot de polémiques et menace même de fracturer la majorité. Alors le ministre de l’Intérieur a opéré mercredi une première reculade, concernant la notion de "pays tiers sûr". "Ça ne figurera pas dans la loi", a assuré le député LREM Sacha Houlié mercredi matin sur Europe 1. Une information confirmée par le ministère de l’Intérieur. Le gouvernement évite là sans doute une polémique de plus sur un texte qui n’en manquera sans doute pas. Car si la notion de "pays tiers sûr" reste méconnue, elle est très décriée par les associations.
- Qu’est-ce qu’un pays tiers sûr ?
C’est un concept qui ne concerne pas des pays de l’Union européenne. Il s’agit d’un pays présentant les garanties de protection prévues dans la Convention de Genève, donc dans lequel les droits de l’homme sont respectés et dans lequel une personne peut réclamer le droit d’asile. Il n’existe à l’heure actuelle aucune liste de pays tiers sûr en France, seulement une liste de "pays d’origine sûr", rappelle Le Monde. Ce qui n’empêche pas l’Ofpra (l’Office français des réfugiés et des apatrides) d’étudier le dossier de demande d’asile d’un ressortissant de l’un de ces pays en vertu du caractère individuel d’une demande.
- Que prévoyait le texte de base ?
A l’origine, dans la loi que portera courant 2018 Gérard Collomb, il était donc prévu d’établir une liste de pays tiers sûr qui permettait la reconduite d’un étranger ayant transité par l’un de ces pays. Le tout sans que la France n’ait à étudier sa demande. En clair, un Afghan ayant transité par la Tunisie aurait pu être raccompagné dans ce pays au motif qu’il aurait pu y formuler une demande d’asile, et ce sans que l’Ofpra ne se penche sur son cas.
Cette notion figurait surtout dans le texte pour permettre le renvoi vers le Brésil de demandeurs d'asile arrivés en Guyane, qui fait face à une immigration haïtienne massive. L’objectif était de désengorger les demandes, afin de remplir l’un des objectifs annoncé d’Emmanuel Macron, à savoir ramener la durée moyenne d’étude d’un dossier de demande d’aile de 14 à 6 mois.
Il s’agissait en fait d’élargir le dispositif en cours dans l’ensemble de l’Union européenne, régi par le Règlement Dublin III. Selon ce texte, un ressortissant d’un pays hors UE ne peut formuler une demande de droit d’asile que dans un seul pays de l’Union. Et il est même contraint de le faire dans le premier pays où il a laissé trace de son passage, telles que des empreintes digitales après un contrôle de police par exemple. Une exception existe en vertu d’un accord passé avec la Turquie, seul « pays tiers sûr » ainsi reconnu par l’Europe.
- Pourquoi cette disposition est décriée ?
D’abord parce que la notion reste floue. "On ne sait pas très bien sur quels critères un pays allait être considéré comme sûr", explique ainsi dans Libération Pierre Henry, le directeur général de France Terre d'Asile. Ensuite parce que cette disposition n’est pas dans la culture française. Elle "déroge à la tradition française de l’asile", estime Gérard Sadik, le responsable de l’asile à la Cimade, dans Le Monde. "Ce n’est pas la culture de l’Ofpra de faire réexpédier sans se pencher sur les besoins de protection", précise-t-il.
Surtout, certains soupçonnent la France de vouloir, comme d’autres, créer une zone tampon autour de l’Europe, en expulsant vers les pays frontaliers, qui seraient intégrés à une liste de pays tiers sûrs, un maximum de ressortissants. "Certains le font déjà, comme la Hongrie, qui renvoie en Croatie et en Serbie les migrants qui arrivent sur son territoire, au nom de ce concept de pays tiers sûr et ce, pour fermer la route des Balkans", rappelle Gérard Sadik.